Question : Face aux prévisions économiques catastrophiques suite à la crise sanitaire, de nombreux plans de relance sont annoncés, sur lesquels les gouvernants, les élus communiquent beaucoup. Que peut-on en dire ?
Jacques Perrat : La question à débattre est celle de la réalité effective des milliards d’euros promis par l’Europe, l’Etat et la Région pour pallier les effets dévastateurs de la crise sanitaire, économique et sociale. Sur quels critères peut-on juger si telle ou telle mesure relève de la simple « poudre aux yeux » ou va avoir un impact concret ? Comment faire le tri entre les « effets d’aubaine » dans lesquels s’engouffrent nombre d’entreprises et les réponses revendiquées par les acteurs publics à des problèmes réels : transition énergétique et industrielle face à la crise climatique, relocalisations productives face au déficit de produits vitaux, élévation des compétences et de « l’employabilité » des travailleuses et travailleurs, etc. ?
Question : On pourrait presque croire à un moment « keynésien » avec le retour de l’intervention publique. Est-ce vraiment à cela que nous assistons ?
Jacques Perrat : Ma conviction est que la pandémie s’inscrit comme facteur d’accélération d’un mouvement plus long d’adaptation du capital (ou plutôt de ses fractions les plus « avancées ») à de nouvelles conditions qui rebattent complètement les cartes de la concurrence entre les entreprises : la révolution numérique met toutes les activités en compétition en temps réel et partout dans le monde, au moment où le modèle d’exploitation du travail et de la terre atteint ses limites et où les solutions à trouver se présentent elles-mêmes comme nouvelles sources potentielles de profit. D’où la démolition du droit du travail, la fin de la hiérarchie des normes (y compris par la « différenciation territoriale »), le recul des branches professionnelles, pour donner toute latitude à l’entreprise (et d’abord aux plus grandes) dans cette phase de repositionnement global où il n’y aura pas de place pour tout le monde.
Question : Face à cette situation, quelles pourraient être les réponses syndicales ?
Jacques Perrat : Dans ce contexte, il appartient donc à chaque structure syndicale, y compris au plus près du lieu de travail, de s’approprier la connaissance des mesures annoncées pour débattre collectivement de leur réalité effective, de leurs impacts concrets sur l’emploi et le travail, de leur capacité à répondre au non aux objectifs affichés : réelle relocalisation de production ou pas ? Réponse efficace (complètement, partiellement ou pas du tout) à une transition productive correspondant aux revendications syndicales et aux attentes des salariés et de la population ? Possibilités de lutte pour des réorientations de ces investissements ? Appuis pour condamner les abandons passés et présents d’activités et les restructurations destructrices d’emplois et de compétences ? C’est sans doute le meilleur moyen de se rapprocher des aspirations concrètes des salarié-e-s, en donnant du corps à la revendication d’un « plan de rupture », qui devra bien (sauf à attendre le grand soir !) partir d’éléments concrets de dépassement du « monde d’avant ».
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1588