Un comité d’évaluation sur les plans de relance
Un comité d’évaluation a été mis en place au printemps 2021. Il a produit en octobre 2021 un premier rapport dont France Stratégie a publié l’intégrale (456 p.) et une synthèse d’une quarantaine de pages.
Les organisations syndicales étaient membres de ce comité et la Cgt était représentée par Mathieu Cocq.
Le comité a décidé d’aller plus loin que la lettre de mission qui se limitait aux rubriques rénovation énergétique des logements privés et bâtiments publics, dispositifs de soutien à la demande de véhicule propres, baisse des impôts de production, prêts participatifs, activité partielle de longue durée, dispositif FNE-formation et prime à l’embauche des jeunes.
Il y a ajouté l’analyse du soutien à l’investissement et à la modernisation de l’industrie et du soutien à l’industrie du futur, analyse sur laquelle cette note se concentre (les évaluations consacrées aux autres questions sont intéressantes et peuvent être consultées sur le site de France Stratégie).
Implicitement, le comité reconnait que l’exercice d’évaluation est rendu difficile par le nombre des axes d’intervention et leur enchevêtrement.
Une évaluation rendue compliquée par la complexité des dispositifs
Les deux dispositifs étudiés ont été lancés au quatrième trimestre 2020 :
1 – Doté de 2,45 milliards d’euros le dispositif Soutien à l’investissement et la modernisation des industries regroupe un ensemble d’appels à projets (AAP) ayant chacun un objectif spécifique :
La (re)localisation des secteurs stratégiques (agroalimentaire, électronique, santé, 5G, intrants critiques de l’industrie) ;
Le soutien aux industries en pleine mutation (aéronautique, automobile) et aux projets à fort impact territorial.
2 – Le guichet Industrie du futur, doté de 0,9 milliards d’euros, consiste à subventionner directement l’acquisition par des PME et ETI de certains matériels et technologies participant à leur modernisation et à leur transformation vers l’industrie du futur.
On voit d’emblée la complexité de différencier des opérations relevant d’un investissement, d’une modernisation et/ou d’une transformation des entreprises concernées, les ambiguïtés tenant à la distinction des activités selon leur classement dans ces deux objectifs, complexité renforcée par la prise en compte de l’impact territorial dans un cas et pas dans l’autre, etc. Ce qui explique la difficulté que nous avons à répertorier les entreprises régionales concernées selon les listes publiées officiellement (nationalement et dans certains départements), qui ne suivent pas nettement les distinctions annoncées par ces dispositifs.
La dénomination « industrie du futur », notamment recouvre souvent dans les bilans publiés les actions pour aider méthodologiquement les TPE et PME à se numériser et non des investissements industriels « de rupture ». Rappelons aussi que plusieurs politiques de soutien à l’industrie ont été lancées avant le plan de relance (le plan robotique comme le soutien aux Territoires d’Industrie datent de 2018) et se confondent avec les interventions du plan de relance.
Un plan de relance avec une vision à court terme et des effets d’aubaine
Pour ce qui est de l’évaluation produite par le comité, on peut relever les enseignements suivants (résultats nationaux).
1 – Les bénéficiaires sont globalement satisfaits du processus mais compte tenu du volume de dossiers et des « délais contraints d’instruction » les opérateurs chargés de la gestion ont dû « se réorganiser dans l’urgence au détriment parfois de l’accompagnement des porteurs de projets ». Peut-on lire là que de nombreux dossiers ont été acceptés sans analyse suffisante ?
2 – Le dispositif Soutien à l’investissement et à la modernisation de l’industrie :
2 179 bénéficiaires ont été identifiés mi-septembre 2021 pour 1,7 millions d’euros de subventions.
Deux tiers des bénéficiaires sont des PME, dont la moitié a un effectif compris entre 10 et 50 salariés (ce qui remet en question nos comparaisons avec le nombre d’établissements de l’activité en région puisque nous avions retenu les plus de 50).
Les grandes entreprises représentent 13 % des bénéficiaires pour 26 % du montant total des aides.
Le secteur de la métallurgie et de la fabrication de produits métalliques (comprenant les industries automobile et aéronautique) est le premier bénéficiaire avec 18% des lauréats (ce qui correspond à nos évaluations).
Les bénéficiaires sont des entreprises plutôt dynamiques avant la crise, qui se caractérisaient par une croissance de leur chiffre d’affaires et de leurs investissements et parmi les plus productives du secteur industriel. Comme nous l’avons dit, ce sont donc bien les entreprises déjà « en pointe » qui ont été ainsi aidées, ce que le comité justifie par le fait qu’elles « auraient néanmoins été davantage touchées par la crise », on ne voit pas trop pourquoi !
Le taux de sélection est de l’ordre de 30% pour les AAP nationaux et de 17 % pour les projets territoriaux (il faudrait pouvoir savoir quelles tailles d’entreprises sont respectivement concernées) et le taux de subvention varie de moins de 5% à plus de 80% (même remarque !). Les taux les plus élevés ont été principalement accordés à l’automobile et à l’aéronautique.
D’après une quinzaine d’entretiens, les caractéristiques des projets financés varient selon la taille et la maturité de l’entreprise :
° Pour les start-ups innovantes, les aides auraient été « déterminantes pour initier un projet d’industrialisation ou de pré-industrialisation ».
° Pour les PME et ETI, le dispositif aurait « contribué à accélérer le calendrier ou à élever le niveau d’ambition des projets existants ».
° Pour les grands groupes « le dispositif n’aurait pas modifié substantiellement leur feuille de route en matière d’investissement. »
° Pour ces deux dernières catégories « l’obtention de la subvention pourrait, pour certaines entreprises, correspondre à un effet d’aubaine sans qu’il soit quantifiable à ce stade ». C’est bien ce que nous avions signalé dans nos évaluations…
3 – Le dispositif Industrie du futur :
6 648 bénéficiaires ont été identifiés mi-septembre 2021, pour 706 millions d’euros de subventions.
51 % des entreprises concernées ont un effectif compris entre 10 et 50 salariés (même remarque). Les ETI représentent 4 % des bénéficiaires.
Le taux de recours des PME dépasse 10% dans de nombreux secteurs (métaux, plasturgie, produits informatiques…). La subvention moyenne s’élève à 114 000 euros.
D’après les déclarations des demandeurs 68% de subventions correspondraient à l’achat de machines programmables ou numériques.
Les TPE ont davantage utilisé le dispositif pour acquérir des machines dédiées à l’usinage.
Les ETI l’ont mobilisé plutôt pour des projets de robotisation ou d’automatisation.
« Le dispositif semble avoir davantage financé la modernisation des chaînes de production des PMI plutôt qu’un réel passage à l’industrie du futur ».
Concernant ces deux dispositifs, le comité tire les enseignements suivants :
4 – L’objectif d’une relance de l’investissement industriel en sortie de crise semble atteint : plus de 11 milliards d’investissements ont été ainsi soutenu en un an, ce qui a contribué à « une relance rapide de l’investissement industriel ». Cependant, ces dispositifs se sont inscrits « dans une dynamique de reprise soutenue de l’activité économique », « sans qu’il soit pour autant possible d’identifier à ce stade l’impact spécifique des mesures du plan de relance ».
5 – « L’objectif de relance à court terme a prévalu sur celui de transformation structurelle de l’industrie française ». L’analyse des projets bénéficiaires « ne permet pas de garantir à ce stade un impact significatif sur l’environnement ou sur la résilience des chaînes de valeur industrielles. En particulier pour les mesures de soutien à l’aéronautique et à l’automobile […], une minorité participerait à la transformation de ces deux secteurs vers une mobilité décarbonée. Cependant, certains projets mentionnent une réduction de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre grâce à la modernisation de l’outil de production ». Nous avons effectivement identifié un certain nombre de projets en ce sens.
Notons que dans la version complète du rapport (qui apporte certains détails, par exemple le type d’investissements projetés : logiciel, robotique, usinage…), le comité suggère qu’il serait utile de faire une évaluation ex post des investissements vraiment réalisés et de ne pas s’en tenir à de simples déclarations d’intentions.
C’est évidemment la position que nous défendons, d’où la nécessité que les organisations syndicales et les CSE d’entreprises manifestent leur volonté de demander des comptes aux directions des entreprises bénéficiaires.
__
Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1638