Le CESER a été saisi le 29 novembre pour avis, par le Conseil Régional, sur un rapport intitulé : le plan de relocalisation stratégique de la région Auvergne-Rhône-Alpes. La saisine a été traitée par la commission « activités économiques, emploi et innovation » élargie aux membres de la section industrie.
UNE CONSULTATION MENÉE AU PAS DE CHARGE
Sur la forme, nous déplorons vivement la méthode. Faute de temps, une seule et unique journée de travail aura été consacrée à l’examen de ce rapport reçu la veille de la commission. Comment développer la réflexion nécessaire à l’étude d’un plan stratégique en une séance ? Comment rendre un rapport de qualité, dès lors que cette saisine n’a pu être travaillée qu’en une séance ? Comment construire une analyse creusée si nous ne pouvons opérer diverses auditions ? S’agissant d’un plan dont la mise en œuvre est prévue sur 6 ans, une telle urgence ne nous parait pas justifiée.
Le projet d’avis n’évoque pas les critiques formulées par de nombreux conseillers quant aux conditions dans lesquelles le Conseil Régional a encadré la saisine sur un sujet aussi important. Ainsi, par manque de temps, le projet d’avis ne contient ni conclusion, ni préconisations.
Il n’évoque pas davantage les observations formulées par les mandatés des organisations syndicales de salariés sur l’absence totale de concertation organisée en amont de ce plan alors que, celles-ci sont aussi porteuses de propositions.
Ce plan aussi stratégique pour le développement industriel et l’emploi aurait mérité une tout autre approche pour permettre l’élaboration d’un avis motivé, comprenant notamment des préconisations issues de la diversité des expertises portées par la société civile organisée, et par l’audition d’experts industriels, économistes, élus, représentants européens, … Or, une seule audition n’a pu être opérée, prévue d’ailleurs antérieurement à la saisine pour ce plan : celle de la première Vice-Présidente du Conseil régional, en charge de l’économie.
La critique est bien évidement adressée au Conseil régional, qui contraint dans ces conditions, les conseillers du CESER à un travail très insatisfaisant.
Néanmoins, nous soulignons la qualité du travail préparatoire à nos réflexions, effectué par le chargé d’étude Laurent de PESSEMIER, pour compenser le manque de temps de préparation individuelle en amont de la réunion.
UNE INDUSTRIE QUI DOIT S’ADAPTER À UNE MONDE EN COMPLÈTE TRANSFORMATION
Concernant le fond, l’industrie demeure un élément déterminant de création de la valeur, du développement et de la cohésion de notre territoire régional. L’avenir des entreprises et des emplois en AURA sont fortement dépendants de la capacité productive sur le territoire national et européen. Ce n’est pas la première fois que le travail se transforme sous l’effet des évolutions techniques et technologiques affectant les modes de production, les organisations du travail, les valeurs, le sens et la finalité du travail. Notre époque est cependant singulière en raison de la vitesse de cette transformation. Le numérique bouleverse l’organisation de la production de biens et de services ; l’évolution des métiers et des compétences ; le rapport entre l’homme, le travail, et la nature ; le rapport entre les producteurs, les consommateurs et les citoyens ; ainsi que la place et le rôle des Etats, dans un contexte de crise civilisationnelle liée au changement climatique. Aussi, la transition écologique et énergétique s’impose dans les choix stratégiques de notre région.
L’urgence à prendre en considération ces évolutions est un réel point d’appui pour accélérer la transition industrielle, professionnelle et la ré industrialisation de notre pays.
Le forum Industrie, tenu dans les locaux du Conseil régional fin 2019, avait montré la disponibilité de l’ensemble des partenaires sociaux à s’engager autour de ces enjeux.
Ce forum avait permis de dégager des pistes pour anticiper et répondre aux défis soulevés par l’urgence climatique et l’inclusion sociale, en identifiant quelques filières stratégiques et les acteurs à impliquer afin de réussir la transition industrielle.
La crise de la Covid 19 a depuis mis en lumière, les risques résultant d’un modèle de développement conduisant à la perte de contrôle sur les approvisionnements liés à l’éclatement des « chaines de valeur », et a rendu visible notre difficulté à faire face à l’urgence sanitaire (absence de stocks stratégiques contribuant au manque criant de petit matériel, de médicaments, d’appareils respiratoires,..) ou à maintenir en fonctionnement certaines lignes de production (avec les pénuries de matières premières et notamment celle des composants électroniques qui met à l’arrêt la construction automobile).
LA RELOCATION : UN SUJET ESSENTIEL MAIS QUI NÉCESSITE UN DIALOGUE SOCIAL
C’est ainsi, que dans leur ensemble les conseillers de la commission 1 et de la section Industrie qui sont intervenus, lors de la réunion du 1er décembre, ont exprimé leur satisfaction de voir la question de la réindustrialisation prise en compte par l’exécutif régional. Nos organisations syndicales l’ont également approuvé.
Après avoir adopté en octobre 2021 le plan régional « Retour au travail » qui permet d’accompagner les entreprises dans leurs projets de recrutement et de faciliter les embauches dans les secteurs en tension, la Région propose aujourd’hui un plan destiné à reconquérir la souveraineté industrielle régionale et favoriser l’implantation, la relocalisation, le maintien et le développement d’entreprises sur des produits et secteurs stratégiques avec l’affectation d’une ligne budgétaire significative au regard du budget régional, de 1, 2 milliards d’euros sur 6 ans. Mais nous notons que les financements alloués ne sont pas clairement identifiables dans le budget prévisionnel 2022.
UN PLAN INABOUTI, REPOSANT SUR UN RECYCLAGE DE MESURES DÉJÀ EN PLACE
Nous estimons que le plan est singulièrement inabouti, peinant à dégager les enseignements de la crise en cours et à élaborer des axes réellement innovants et/ou des inflexions par rapport aux stratégies passées. Cela alors que la Région dispose d’outils solides (montée en puissance de l’Agence Economique Régionale, Atlas-Synergies-Productives en collaboration avec l’université de Clermont) pour esquisser une approche différenciante. Ce plan s’inscrit trop peu dans les stratégies européennes et nationales, pourtant offensives sur cette question de souveraineté industrielle depuis les enseignements de la crise COVID.
Nous relevons que ce plan stratégique ne présente pas de dispositifs novateurs permettant d’impulser la volonté politique de relocalisation. Nombre de mesures proposées, concernant le foncier et la formation, ne font que reprendre, dans des termes proches, des dispositifs déjà présents dans le dernier Schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) 2017-2021, sans qu’aucune évaluation n’en soit présentée. La référence aux 8 DOMEX (Domaines d’excellence) est réaffirmée, mais l’audition nous apprend que les exceptions seront possibles (industrie du luxe, textile…).
LA NÉCESSITÉ D’UNE STRATÉGIE BASÉE SUR LA COOPÉRATION ET NON SUR LA CONCURRENCE
Nous l’avons souligné plus haut, notre région ne nous parait pas pouvoir constituer, à elle seule, l’échelle pertinente pour penser la reconquête de notre indépendance industrielle. Au regard des « tickets d’entrée » résultant de la concentration existant dans certains secteurs. Cette indépendance ne peut se construire qu’à l’échelle nationale, en coopération avec les autres régions, et non dans une concurrence destructrice, et plus sûrement à l’échelle européenne. C’est notamment le cas pour les microprocesseurs, incontournables dans tous les DOMEX évoqués dans le rapport et bien au-delà. La nécessité de penser la souveraineté à l’échelle européenne ne signifiant pas que la Région renonce à y prendre toute sa place sur la base des atouts dont elle dispose.
En amont du travail du CESER, ce plan aurait nécessité la concertation des partenaires sociaux. Cette remarque ayant été entendue par la 1ère VP, et reprise dans l’avis, nous rattraperons en aval, ce que nous n’avons pu exprimer en amont !
En effet, pour faciliter les recrutements dans la multitude de PME qui forment le tissus industriel dans les filières de production, il est essentiel de prendre en compte l’emploi local (au sens des bassins d’emplois et de vie) c’est pourquoi la mise en œuvre d’un dialogue social territorial est important pour que les partenaires sociaux (employeurs et syndicats de salariés) en lien avec les pouvoirs publics puissent débattre des compétences mobilisables localement et envisager des formations qualifiantes afin que les entreprises soient en capacité de répondre aux besoins sociaux et au défi de l’urgence climatique A défaut la relocalisation industrielle peut avoir des effets pervers d’aggravation des inégalités sociales dans les territoires.
Les organisations syndicales signataires de cette déclaration sont pleinement disponibles pour participer à définir les relocalisations souhaitables, et les transitions industrielles à anticiper, et les conditions de leur réussite à partir de filières stratégiques. Et ce particulièrement s’agissant de l’emploi, des compétences, des reconversions nécessaires et de l’évolution des métiers à engager, en mobilisant l’ensemble des acteurs, avec le souci constant, que celles-ci, contribuent à renforcer la cohésion sociale, afin de bien vivre durablement partout en AURA.
Pour conclure, devant de tels enjeux, il conviendrait de retrouver le temps du débat, de la confrontation et de l’analyse afin d’élaborer des avis motivés sur la base de l’expertise de la société civile organisée.
Les consultations du CESER se multiplient dans la précipitation. Cette temporalité est contraire à un travail de qualité et tend à vider l’exercice démocratique de son contenu. Nous sommes convaincus que la démocratie doit redevenir un élément structurant dans les choix des politiques publiques, leur financement, leur mise en œuvre et leur évaluation.
L’histoire de nos deux régions a toujours été marquée par une culture du dialogue social. Revivifier notre modèle démocratique nécessite de recréer les conditions et les moyens de l’écoute et du dialogue, dans la proximité, afin de favoriser la participation des citoyens et de tous les acteurs aux projets qui impactent la vie quotidienne des Auvergnats – Rhônalpins.
Pour toutes les raisons que nous venons de développer, les organisations CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FSU, Solidaires, UNSA, s’abstiendront sur cet avis.