Par Jacques Perrat, économiste à l’ADEES, décembre 2023
Mémo Eco de la Cgt sur les aides publiques aux entreprises
Une réindustrialisation sélective qui laisse le champ libre à l’entreprise dans son territoire
En phase avec les décisions européennes, le gouvernement a lancé plusieurs initiatives censées lier reconquête, modernisation et transition écologique de l’industrie. Après le plan France Relance de 100 milliards d’euros (dont 40 du plan européen) sur 2020-2022, France 2030 a pris le relais avec un montant prévu de 54 milliards d’euros sur cinq ans. Plus sélectif que le plan précédant, il vise à soutenir des projets dans des domaines jugés stratégiques (petits réacteurs nucléaires, hydrogène vert, décarbonation, véhicules électriques et hybrides, avion bas carbone, composants électroniques, robotique, numérique, biomédicaments…).
Un aspect important de ces interventions est la place qu’elles confèrent à la dimension territoriale, y compris au travers de l’enveloppe régionalisée abondée par les Régions. L’examen des dossiers retenus en AURA montre une focalisation des interventions non seulement sur « les acteurs émergents et innovants à fort potentiel» (grands groupes, ETI, PME, start-ups parfois réduites à des individus…) mais aussi sur les concentrations d’établissements d’enseignement supérieur et d’organismes de recherche de Lyon, Grenoble, St-Etienne et Clermont-Ferrand, pour renforcer « l’excellence [des] écosystèmes d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation, [notamment pour] accélérer l’émergence, l’industrialisation et la croissance des startups. » (site internet de France 2030)
Des dispositifs qui s’additionnent
S’inscrivant dans ces mêmes logiques sélectives, le dispositif Territoires d’industrie a été créé en novembre 2018 pour soutenir le développement des entreprises dans les milieux ruraux, périurbains, dans les villes petites et moyennes et les intercommunalités. 149 ont été labellisés en France (18 en AURA). Le co-pilotage de chaque territoire associe un élu et un industriel. En novembre 2023 le dispositif a été relancé pour 2023-2027, avec 100 millions d’euros par an émanant du « fonds vert ». Le nombre de territoires retenus a été porté à 183 (26 en AURA), (dossier de presse territoire d’industrie) avec une association renforcée des acteurs locaux (la moitié des intercommunalités est désormais concernée). Par ailleurs, le lien avec France 2030 a été réaffirmé : selon le ministre en charge de l’industrie, « France 2030, c’est l’innovation de rupture, Territoires d’industrie, c’est l’innovation de continuité » (La Tribune). L’implication territoriale de France 2030 s’exprime également par des dispositifs spécifiques aux filières concernées, comme le programme Rebond industriel initié en août 2022 pour accompagner les territoires confrontés aux mutations de la filière automobile, avec une dotation de 100 millions d’euros. Un an après, le nombre de territoires soutenus est de 19 (en AURA : Bourg-en-Bresse et Vallée de l’Arve).
En 2019 a été créé un dispositif Territoires d’innovation (450 millions d’euros prévus sur 15 ans) : « adossée à la troisième vague du Programme d’investissements d’avenir, cette action a pour objectif de faire émerger en France les territoires du futur et de nouveaux modèles de développement territorial. À la fois innovants, réplicables et exemplaires, ces nouveaux modèles favoriseront l’émergence d’écosystèmes propices au développement économique durable et à l’amélioration des conditions de vie des populations tout en permettant aux acteurs économiques locaux de rayonner. »(site internet de la Banque des territoires). On trouve dans les 24 premiers lauréats les Métropoles de Lyon et St-Etienne pour Une industrie transformée et reconnectée aux habitants, ainsi que Valence-Romans, Capitale des start-ups de territoire…
La loi Industrie verte, votée le 11 octobre 2023, prévoit 23 milliards d’euros pour réduire l’empreinte carbone de la France à 41 millions de tonnes d’ici 2030. Elle veut également « diviser par deux les délais d’implantation d’usines […] tout en associant davantage les communes et EPCI aux enjeux industriels ». La Banque des territoires mobilise un milliard d’euros pour aider la création de 50 nouveaux « sites industriels clefs en main », pour des implantations à « procédures simplifiées » : ils étaient déjà 127 en 2021 dont 10 en AURA (comme les terrains dont dispose Symbio à Vénissieux et à St-Fons). Ce dispositif est également articulé avec les Territoires d’industrie (site gouvernemental)
Ces politiques s’inscrivent de fait dans la poursuite du déploiement de dispositifs « d’excellence » initié par le plan Investissements d’avenir lancé par N. Sarkosy (création en 2009 des Instituts de recherche technologique, Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies, Instituts Carnot, Pôles Universitaires d’innovation, Equipex et Labex, Pôles de compétitivité…). Les Pôles de compétitivité ont été dès le départ hiérarchisés selon qu’ils sont orientés davantage vers le territoire (Plastipolis…) ou vers les réseaux internationaux (Minalogic…) et leurs activités s’articulent désormais étroitement aux dispositifs de France 2030. 13 ont été à nouveau labellisé en AURA en mars 2023.
Cette tendance à la territorialisation s’exerce aussi au niveau européen : le Green Deal Industrial Plan de février 2023 intègre les dispositifs du Fonds territorial pour une transition juste mis en place pour la période 2021-2027 : il vise la mise à niveau « écologique » des territoires concernés par la chimie, la cimenterie, la sidérurgie, la papeterie… Il intègre aussi les Projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) : la France est concernée par 10 d’entre eux (dont un sur les batteries). Ces dispositifs nationaux et européens convergent souvent sur les mêmes projets industriels. Par exemple, à Lyon : la transition écologique de la chimie est soutenue par l’Europe, l’Etat, la Région, la Métropole… et à Grenoble : plusieurs projets sur la microélectronique sont soutenus par France 2030, Territoire d’industrie et/ou un PIIEC. Les fonds européens abondent les plans de relance nationaux comme régionaux : pour le lancement de son nouveau fonds Avenir Industrie Auvergne-Rhône-Alpes, destiné à accompagner des start-ups vers la mise en production, la Région va recevoir du Fonds européens de développement économique régional (FEDER) la moitié des 50 millions d’euros qu’elle entend investir.
Tous ces dispositifs convergent vers un soutien aux stratégies du capital pour l’aider à réussir à moindre coût et avec le moins de contraintes possibles (engagements de principe, pas de contrôle a posteriori…) les transitions que lui imposent les nouvelles exigences sociétales et environnementales. Cette volonté de laisser le champ libre à « l’entreprise dans son territoire » ne concerne pas que la relation aux ressources en matière de production et d’innovation mais s’étend aux ressources en emploi et en compétences : c’est le sens de la réforme France Travail ainsi que de celle des lycées professionnels, qui visent à donner la main au patronat pour façonner à son profit non seulement la carte des formations mais aussi les « profils » des demandeurs d’emploi.
Il est donc plus que jamais important de se préoccuper syndicalement de cette relation entreprise-territoire pour ne pas laisser le patronat seul maître du jeu :
- Quelle interpellation de la direction de l’entreprise sur les projets subventionnés ?
- Quelle stratégie envers les montages territoriaux associant élus et industriels ?
- Quelle relation entre le professionnel et l’interprofessionnel pour la construction de projets revendicatifs prenant en compte toutes ces dimensions ?
France 2030 en AURA : un premier bilan
Le 11 décembre 2023, le gouvernement a annoncé que, à fin octobre et deux ans après son lancement, France 2030 avait déjà soutenu plus de 3200 projets portés par plus de 3500 bénéficiaires, dont 743 en AURA (21%)[7]. Pour l’instant, le site gouvernemental ne permet de repérer que 620 dossiers retenus en AURA, auxquels il faut ajouter 41 projets retenus dans l’enveloppe régionalisée abondée à 50/50 par l’Etat et la Région. Ces projets se répartissent comme suit :
ISERE : 215 + 9 : Cliquer pour connaître les entreprises
RHONE : 211+ 11 : Cliquer pour connaître les entreprises
HAUTE-SAVOIE : 47 + 1 : Cliquer pour connaître les entreprises
SAVOIE : 31 + 2 : Cliquer pour connaître les entreprises
PUY- DE-DOME : 29 + 5 : Cliquer pour connaître les entreprises
LOIRE : 23 + 4 : Cliquer pour connaître les entreprises
DROME : 21 + 1 : Cliquer pour connaître les entreprises
AIN : 19 + 3 : Cliquer pour connaître les entreprises
ARDECHE : 9 + 1 : Cliquer pour connaître les entreprises
HAUTE-LOIRE : 8 + 3 : Cliquer pour connaître les entreprises
ALLIER : 7 : Cliquer pour connaître les entreprises
CANTAL : 0 + 1 : Cliquer pour connaître les entreprises
On le voit, ces interventions confortent les départements déjà les mieux dotés en potentiels productifs comme en potentiels d’innovation, loin d’une politique d’aménagement équilibré du territoire. Et ce constat se vérifie si l’on considère chacun des grands thèmes retenus pour la sélection des dossiers.
Remarques générales : si les dossiers France 2030 régionalisé sont détaillés, ce n’est pas le cas des dossiers attribués nationalement : on n’a que le nom de code, le nom du candidat et l’intitulé du thème. On peut constater aussi que l’on retrouve assez souvent les mêmes candidats (notamment grandes entreprises et organismes d’enseignement et de recherche) dans différentes rubriques, y compris dans le soutien aux PME et start-ups. Notre état des lieux régional ne porte que sur les dossiers retenus nationalement (le Cantal n’y figure donc pas).
Décarboner notre industrie et la production d’intrants : Il s’agit de projets portant sur des économies d’énergie et des réductions de l’impact environnemental (changement ou modernisation de chaudière, etc.). On en trouve 13 dans le Rhône, 7 en Savoie (dont 6 pour FERROPEM), 4 dans l’Isère, la Loire et l’Ain, 3 en Haute-Savoie, 2 dans le Puy-de-Dôme et en Ardèche, 1 en Haute-Loire, aucun dans l’Allier et dans la Drôme. Soit 40 dossiers, 6,5 % du total.
Sécuriser l’accès aux matières premières : Il s’agit de sécuriser la fourniture des matières et métaux critiques nécessaires aux filières stratégiques. Le Rhône (20 projets) et l’Isère (16) viennent en tête, avec notamment beaucoup d’acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. Viennent ensuite l’Allier(6) le Puy-de-Dôme, la Haute-Savoie et l’Ain (5), la Savoie (4), l’Ardèche et la Haute-Loire (2), la Drôme et la Loire (1). Soit 67 dossiers, 10,9 % du total.
Sécuriser l’accès aux composants stratégiques en électronique, robotique et machines intelligentes : Dans l’ordre : Isère (22 : dont STMicroelectronics, Soïtec, CNRS, INP, Université…), le Rhône et la Loire (3), la Haute-Savoie (2), l’Ain et le Puy-de-Dôme (1), les autres départements : aucun. Soit 32 dossiers, 5,2 % du total.
Maîtriser les technologies numériques souveraines et sûres : L’Isère cumule 31 dossiers (avec STMicro, mais aussi Kalray : 6 dossiers), le Rhône en obtient 11, Drôme, Savoie, et Haute-Savoie : 1 chacun, les autres départements : aucun. Soit 45 dossiers, 7,3% du total.
Faire de la France le leader de l’hydrogène décarboné et développer des technologies d’ENR à la pointe. Résultats : Isère : 12 (CEA, INP, SATT, Université…), Rhône : 5 (CNR, Nexans, Schneider, Supergrid, SNCF), Savoie : 2 (Astriis, UA Solar), Haute-Savoie : 1 (Everaxis), autres départements : 0. Soit 20 dossiers, 3,2 % du total.
Faire émerger en France d’ici 2030 des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets. Résultats : Isère : 5 (STMicro, ECM…), Rhône : 4 (Nuward, Reel, Curium, Newcleo), Loire : 4 (Siléane, Universités…), Ardèche : 1 (Rousselet), autres départements : 0. Soit 14 dossiers, 2,3 % du total.
Prendre toute notre part à la nouvelle aventure spatiale : 2 dossiers dans l’Isère (100% !)
Produire en France, à l’horizon 2030, près de 2 millions de véhicules électriques et hybrides : On retrouve là des spécialités industrielles de la région, très concernées par la transformation des activités, notamment des tissus de sous-traitants (avec des opérations Rebond industriel sur les agglomérations de Bourg-en-Bresse et Cluses). Résultats : Rhône : 27 (Renault-Trucks, Rhône Ressorts, Insavalor, Navya, Rhodia… les trains et vélos électriques sont également concernés), Haute-Savoie : 20 (Baud, Bontaz, NTN-SNR…), Isère : 10 (dont Verkor, soutenu aussi dans PME et start-ups), Savoie : 7 (Carbone Savoie, Johnson…), Puy-de-Dôme : 5 (Méca, Punch, Université…), Ain : 4 (Lamberet, Electrifil…), Drôme : 1 (Beti), Loire : 1 (Walor), Haute-Loire : 1 (Linamar), autres départements : 0. Soit 76 dossiers, 12,3 % du total.
Produire en France au moins 20 bio-médicaments et des dispositifs médicaux innovants. Résultats : Rhône : 28 (Hôpitaux, Centre du Cancer, Aguettant…), Isère : 11 (Fresenius, STI, Hôpital, Universités…), Loire : 3 (Curien, MedTech, Université), Ardèche : 1 (Excelvision), Puy-de-Dôme : 1 (THEA), autres départements : 0. Soit 44 dossiers, 7,1 % du total.
Innover pour une alimentation saine, durable et traçable. Résultats : Drôme : 8 (Ceinture verte…), Puy-de-Dôme : 7 (Limagrain, Université…), Isère : 4, Rhône : 3, Haute-Loire : 2, Savoie : 1 (Agrithermic), autres départements : 0. Soit 25 dossiers, 4 % du total.
Placer la France à nouveau en tête de la production des contenus culturels et créatifs. Résultats : Rhône : 9 (cinéma, jeux vidéo…), Drôme : 5 (ateliers, écoles, plateforme…), Ardèche : 2 (image, cinéma), Isère : 2, Savoie : 1, Haute-Savoie : 1 (Annecy), Loire : 1 (Cité du Design), Puy-de-Dôme : 1 (Le Damier), autres départements : 0. Soit 22 dossiers, 3,5 % du total.
Excellence de nos écosystèmes Enseignement supérieur, Recherche, Innovation (ESRI) : On retrouve là essentiellement les activités concentrées dans les métropoles d’AURA (mais pas St-Etienne !) : Isère : 8 (Universités…), Rhône : 6 (INSA, Universités…), Savoie : 3 (Universités), Puy-de-Dôme : 2 (CHU, Université), autres départements : 0. Soit 19 dossiers, 3,1 % du total.
Développer les talents en construisant les formations de demain : Cette rubrique est très importante par le nombre de dossiers, qui concernent pratiquement tous les organismes d’enseignement initial et continu (Universités, Grandes Ecoles, Lycées, écoles d’entreprises, organismes privés…). Mais ses objectifs ne sont pas seulement de développer des formations mais aussi d’en faire évoluer le contenu et les méthodes. Avec également des implications idéologiques : après les compétences à la place des qualifications on en est à présent aux « talents » ! Et comme pour la rubrique « écosystèmes ESRI », la hiérarchie territoriale des projets est évidente : Isère : 33, Rhône : 31, Savoie : 2, Puy-de-Dôme : 2, Haute-Savoie : 2, Loire : 1, Drôme : 1, autres départements : 0. Soit 72 dossiers, 11,7 % du total.
Soutien “bottom-up” aux startups et PME
Se voulant caractéristique de la nouvelle logique qui consiste à « partir du terrain » (bottom up) et non plus de « décider d’en haut » (top down), cette rubrique regroupe des projets qui sont labellisés pour des PME et des start-ups mais qui concernent souvent de grandes entreprises. Elle concerne aussi un nombre important de personnes physiques (très largement des hommes !) qui aspirent à créer une entreprise. Comme les projets ne sont pas détaillés, on ne sait rien des activités ainsi soutenues.
Résultats : Isère : 56 (dont STMicro, Constellium, et 25 personnes physiques), Rhône : 51 (dont Arkema, Axe’One, JTEKT, Plastic Omnium, et 13 personnes physiques), Haute-Savoie : 12 (dont Baud, Bontaz…), Loire : 5 (dont 1 personne physique), Ain : 4, Drôme : 4 (dont 1 personne physique), Puy-de-Dôme : 3 (dont 1 personne physique), Savoie : 3, Haute-Loire : 2, Ardèche : 1, Allier : 0. Soit 141 dossiers, 22,9 % du total.
A noter que, sans doute pour concrétiser le « en même temps », le gouvernement a lancé, en 2019, le dispositif French Tech Tremplin (en Franglais bien sûr !) pour aider les habitants des quartiers prioritaires et bénéficiaires des minima sociaux à monter leur entreprise. Chaque start-up reçoit 22 900 € sans contrepartie. La 4ème édition a été annoncée en décembre 2023, avec 224 dossiers retenus, dont 23 en Aura (centrés sur St-Etienne/Lyon et Grenoble/Alpes).
Des fiches reprennent ces résultats par départements, en y ajoutant les dossiers de l’enveloppe régionalisée et les dispositifs labellisés Territoires d’industrie.