Introduction de la première table ronde sur le thème : CROIZAT L’OUVRIER LE MILITANT par Bernard Lamirand, Responsable du Comité d’Honneur pour la reconnaissance d’Ambroise Croizat
Je suis chargé de vous présenter Ambroise Croizat, l’ouvrier, le militant. C’est vaste et je me suis demandé par quel bout prendre un parcours militant aussi étendu, Michel Etievent me rend la tâche plus aisée puisqu’il vient de vous présenter le personnage Croizat et ses origines.
Je vais donc l’aborder d’une toute autre manière.
Celle qui colle à la réalité de ses implications concrètes en tant que militant syndical. Je laisserai de coté, parfois j’y ferai allusion, son militantisme politique en tant que dirigeant du Parti communiste français, qui mériterait une approche singulière et approfondie, ce que je ne puis faire dans cette présentation.
J’aborderai donc ce qu’il a entrepris comme militant syndicaliste sur les questions des salaires, des conditions de vie et de travail, le sens social qu’il donne à son action syndicale, le travail qu’il effectue pour rassembler les salariés et créer le rapport de force conséquent pour gagner des droits nouveaux pour les ouvriers et en même temps nous regarderons le rôle qu’il joue pour donner à la Fédération de la Métallurgie toute la puissance syndicale qu’il faut pour y parvenir.
Une répression continuelle envers ceux qui osent contester l’autoritarisme patronal
Ambroise Croizat vient au militantisme comme une chose naturelle, il est dans le creuset de cette classe ouvrière qui émerge, qui veut sa place dans la société, qui ne l’a pas encore même si le droit de constituer un syndicat a été reconnu laborieusement en 1884, que la CGT est née en 1895. Quand Croizat travaille dans la métallurgie, les droits syndicaux sont très limités, la chasse aux meneurs règne sans pareil dans les usines et les forges où le travail ressemble à des bagnes, où l’espérance de vie est inférieure à 55 ans, dans la répression continuelle envers ceux qui osent contester l’autoritarisme patronal. Ses premières luttes se dérouleront donc dans ce contexte et l’inspireront durant tout son parcours de syndicaliste, d’homme politique, de député communiste et de ministre du travail et de la Sécurité Sociale.
Ambroise vit dans la région Lyonnaise dés 1908 après le licenciement du père à Ugine en Savoie et il habite avec toute la famille dans le quartier de Vaise dans le 9eme arrondissement de Lyon. Il devient un des membres influents des jeunesses communistes à Lyon. Il est difficile de retrouver des éléments précis du rôle qu’il a joué dans sa première entreprise, qui serait une tréfilerie mais il parle aussi d’une entreprise d’orthopédie, on sait qu’il est ajusteur outilleur. Nous en savons un peu plus par son camarade François Billoux qui nous dit le travail effectué pour rassembler les métallos et les unir dans les luttes et réorganiser le syndicat des métaux de Lyon ce que précise d’ailleurs Ambroise Croizat dans un questionnaire biographique.
De ce que l’on peut savoir de cette entrée dans le mouvement syndical de Croizat, c’est qu’on le retrouve dans tous les conflits d’entreprises de la région Lyonnaise.
Quelles sont les revendications du mouvement ouvrier à cette époque et en particulier ce que déploie la toute jeune fédération CGTU de la Métallurgie après la scission avec les confédérés : on y trouve, selon la revue « Le métallurgiste », ainsi que celle d’une revue technique « Le Creuset », la création d’une caisse de secours de route, d’une caisse de chômage, du « sou du soldat » ; ainsi que la prise de position en faveur de la journée de huit heures, contre l’impôt sur les salaires et pour le contrôle ouvrier. Et sur les questions d’organisation apparait l’objectif de transformer les sections et syndicats locaux en sections d’usines et à organiser des congrès d’usines.
La tactique du front unique
L’idée d’être présent et organisé dans les entreprises apparait comme essentielle pour donner de la puissance syndicale et en même temps la Fédération Unitaire de la métallurgie tente d’élargir sa présence par des comités d’unité prolétarienne rassemblant unitaires, confédérés et inorganisés. On sent déjà la place que jouent des militants comme Frachon qui vient du syndicat des métaux de Chambon-Feugerolles dans la Loire et dans l’affirmation de ne pas en rester à une organisation isolée et on le sent notamment, comme va le faire la CGTU, en développant la tactique de « Front unique » [1] dans les conflits sociaux et qui préfigurent déjà ce qui se développera avec le Front populaire et la nécessaire réunification de la CGT.Reconquérir l’unité des ouvriers par la base pour ainsi dire.
La CGTU sera au cœur de la grande lutte des métallos du Havre en 1922 où 25000 métallos durant 111 jours s’opposèrent à une baisse des salaires de 10 %. La répression fut extrêmement dure ; de nombreux militants – tel Henri Gautier, un proche de Croizat- devront quitter la région où ils sont interdits de travail.
On peut dire que Croizat va s’initier aux batailles autour de la défense des salaires et du niveau de vie des ouvriers et l’on retrouve des écrits de l’époque dans les hommes du métal, le livre de Jacques Varin, sur l’histoire de la Fédération de la métallurgie CGT qui attestent de ce travail syndical dans la métallurgie. De nouveaux dirigeants émergent et vont travailler à recréer les conditions d’un mouvement de masse mis en difficulté par l’échec des grèves de 1920 et la scission de 1921.
La fédération de la métallurgie
Son parcours militant va prendre une nouvelle dimension, il quitte la région Lyonnaise en avril 1926 pour prendre des responsabilités à Paris comme permanent au Comité central de la Jeunesse Communiste. Cela va vite se transformer en nouvelles responsabilités et il arrive ainsi à la Fédération Unitaire et il devint un des secrétaires en avril 1928 au moment du départ d’Octave Rabaté, l’un des responsables de la Fédération unitaire de la métallurgie. Il n’est pas le secrétaire général, à cette époque aussi bien la Fédération confédérée que celle unitaire sont dirigées par un secrétariat collectif de 3 ou 4 camarades selon les congrès et avec un bureau plus large et un conseil national.
Ambroise Croizat va vite devenir un des principaux responsables de la CGTU de la métallurgie et il écrit beaucoup dans la Vie Ouvrière, organe de la CGTU, c’est même une des grandes signatures au coté d’écrivains, d’artistes et de scientifiques progressistes.
Nous entrons là dans une période nouvelle et nous trouvons, toujours dans « les hommes du métal », dans quel contexte Croizat va se retrouver à la tête de la Fédération unitaire de la métallurgie et comment des jeunes militants vont devenir rapidement de grands dirigeants du mouvement ouvrier et je cite : « Et puis surtout l’intransigeance à l’égard de toute compromission « de classe » , l’hostilité fondamentale envers la société d’exploitation en place, la répression syndicale, souvent féroce ont permis – paradoxalement – de forger une génération de jeunes militants et dirigeants unitaires, proches de la « base appelés à jouer un rôle important dans les luttes syndicales de deux décennies qui vont suivre , de 1930 à 1950…. » Et l’on retrouve à coups sûr des hommes qui marqueront de manière indélébiles la CGT comme Benoit Frachon et Ambroise Croizat tout deux originaires de cette région Rhône Alpes. Va s’engager alors une nouvelle dimension de son activité syndicale et comme nous allons le voir, sa signature est celle d’un syndicalisme au plus près et celle de l’émergence d’un grand travail créateur et collectif du mouvement syndical à tous les niveaux.
Dans le livre « Ambroise Croizat et l’invention sociale », Croizat est effectivement un inventeur social, mais comme on le verra, il le fait au contact des masses, il s’en nourrit et il est à l’écoute de tous ceux qui apportent leur pierre à l’édifice social qu’il veut construire. Il le fera aussi d’une façon très convaincante, mais avec beaucoup de modestie, qui en faisait un personnage qui pouvait apparaitre de prime abord comme réservé et qui ne l’était pas au vu de ses nombreuses interventions et de cet attachement qu’il avait avec cette classe ouvrière dont il était issue et un militant aussi très proche des gens et de ses collaborateurs et collaboratrices directes comme le raconte si bien Yvonne Breteau sa secrétaire et je la cite :
« Après la Libération, une lettre de la Fédération me demandait si j’étais d’accord pour y reprendre mes activités. D’accord, plutôt deux fois qu’une, et c’est au début 45 que j’ai repris « le collier » comme secrétaire de Croizat. J’ai pu alors mieux le connaître. Il était très attentif à l’égard des camarades et essayait de les satisfaire dans toute la mesure du possible » et elle nous dit :
« Tout compte fait, il aimait faire plaisir aux camarades. C’est ainsi que, devant aller à Charleville-Mézières (Ardennes) pour inaugurer, sur la grande place de la ville, un buste de Fuzelier (Secrétaire Général de l’USTM CGT des Ardennes) fusillé par les Allemands, -il avait appris que je ne connaissais pas la cathédrale de Reims, où nous devions passer. Sans que je le demande, il a pris des dispositions –surtout d’horaires- pour que je puisse visiter cette superbe cathédrale où tant de rois de France ont été sacrés.
A la limite du département des Ardennes, les motards qui devaient nous accompagner jusqu’à Charleville ont trouvé, à l’endroit indiqué, la Chrysler ministérielle, mais pas de ministre ; en un mot, personne. Très rapidement, ils ont trouvé celui qu’ils cherchaient dans un tout petit bar où Croizat jouait aux fléchettes et nous le regardions faire. Je pense qu’il n’était pas très « protocolaire ». »
Ce que dit aussi Marcel PAUL : « … ce qui me frappait de prime abord en la personne d’Ambroise Croizat, en la personne de ce jeune militant savoyard, c’était sa gentillesse, sa modestie et sa simplicité qui n’avaient d’égal que le courage qu’il montrait dans les combats des métallurgistes, dans les combats du monde du travail »…
« Il n’était pas une action pour les salaires, pour les revendications ouvrières où Ambroise Croizat ne soit là au premier rang : grèves que l’on pourrait dire historique du Boucau, des usines Citroën en 1933, de la métallurgie Marseillaise, de Berliet à Lyon, de Montbéliard, la liste est infinie. Là où la classe ouvrière était engagée contre l’exploitation capitaliste, Ambroise Croizat était appelé à diriger le combat. »
Il est donc un des secrétaires de la Fédération Unitaire de la métallurgie et l’on va voir se dessiner toute une activité syndicale qui va conduire cette fédération unitaire à la réunification avec la Fédération Confédérée de la Métallurgie.
Des questions le hantent pour réaliser cette démarche de faire en sorte que les travailleurs obtiennent satisfaction sur leurs revendications bloquées par cette division syndicale qui permettait au patronat de la métallurgie, le fameux comité des forges et l’Union des industries Minières et métallurgiques (UIMM), d’exploiter à outrance les ouvriers, j’en cite deux :
grandir en forces organisées.
Nous savons peu de choses sur les vrais effectifs de la Fédération Unitaire dès sa naissance, mais il semble bien qu’afflue dans un premier temps les syndicats qui choisissent le courant révolutionnaire puis dans un second temps, époque où règne des formes sectaires, un recul apparait, elle perd 50 % de ses adhérents entre 1927 et 1929 et cela travaillera certainement les dirigeants de la Fédération unitaire. C’est en 1935 que l’évolution redeviendra favorable et donc à la veille de la réunification et du Front populaire. A ce moment là fédération unitaire est plus forte que celle des confédérés mais elle ne représente entre 35000 et 50000 syndiqués selon les estimations.
C’est à partir de cette réunification et des conquêtes du Front populaire que la Fédération de la Métallurgie progressera fortement en adhérents.
créer les conditions d’unité de luttes des métallos
Nous allons le voir, dès son arrivée à la Fédération unitaire, Croizat est un militant de terrain, il va être au cœur des conflits qui se développent dans les années trente et je vais en citer les plus importants, là où il apporte toute son intelligence dans les luttes, pour qu’elle ne reste pas seulement de contestation mais bien de propositions revendicatives dans le système capitaliste tel qu’il est à l’époque : insatiable sur le plan des profits et contre toute relève des salaires ( cela on le retrouve aujourd’hui par les attaques sur ledit coût du travail).
Je retiendrai plusieurs luttes qui marquèrent l’époque parce qu’elles sont significatives que la fédération Unitaire marque sa présence sur le terrain revendicatif.
LA GREVE DES FORGES DE BOUCAU :
Il va être ainsi partie prenante d’une grande lutte dès qu’il arrive à la fédération : celle des Forges de Boucau, en 1930. Plus de 2000 ouvriers vont ainsi agir pour défendre leurs revendications salariales, la lutte est dure, le blocage de l’usine se fait par des piquets de grève, les forces de répression vont se déchainer, Croizat est présent parmi les ouvriers qui engagent un combat frontal contre l’adversaire de classe, il représente le secrétariat de la CGTU métaux, il fait un article dans l’Humanité où il montre cette occupation avec des ouvriers décidés à se battre contre l’exploitation des Maitres des Forges de Marine Homécourt, qui est en fait la propriété du puissant patron de la Sidérurgie De Wendel . Cette grève sera réprimée violemment et de nombreux militants de la CGTU furent mis à la porte.
Elle signe certainement les limites d’action de ce genre et peut-être que Croizat s’inspirera de cette lutte pour créer les conditions d’un Front Unique rassemblant la masse des travailleurs et en le pratiquant avec les travailleurs, sur le terrain, directement.
L’enchainement revendicatif va alors être plus poussé pour dépasser sa limitation à un front de classe contre classe.
LA GREVE DE RENAULT BILLANCOURT
Pour Renault, il s’agit d’une grève par rapport à l’arrivée du taylorisme, du travail à la chaine, conçu et développé par Henry Ford aux Etats-Unis. Cela entraine une évolution du travail et des remises en cause de celui-ci pour les ouvriers. Renault emploie tous les moyens pour réduire les salaires et la lutte est menée essentiellement par les unitaires de Croizat, les confédérés estimant que la situation de crise n’est pas propice aux grèves. Le conflit durera de décembre 1931 à la mi-janvier 1932.
Malgré la faiblesse des unitaires en syndiqués, nous dit le livre « Les Hommes du Métal », (65 syndiqués sur 20000 ouvriers) les revendications qu’ils avancent témoigne d’une réel travail revendicatif à travers les objectifs de – pas de diminution de salaire, salaires égal à travail égal pour les jeunes, les femmes et les immigrés, pas de licenciement pour action revendicative, respect de la journée de huit heures, contrat collectif- tout cela permis d’entrainer plus d’un millier d’ouvriers dans la lutte et de faire reculer partiellement Renault. Mais cela reste limite dans l’action de masse et Croizat et ses camarades mesurent que le processus de travail nécessite d’être travaillé plus profondément en relation avec les travailleurs.
LA GREVE DE CITROEN
Pour Citroën, en 1933, là nous avons les prémisses de nouvelle formes et tactiques de luttes correspondant à l’évolution du processus de travail qui devient, avec la chaine, plus collectif mais aussi plus répétitif.
La grève part du changement du processus de travail car Citroën reconstruit totalement son usine de Javel et s’attaque aux salaires. Allain Malherbe, lors de la présentation de cette grève au Creusot, lors du colloque « La grève, hier, aujourd’hui et demain » nous livre les enjeux et la façon dont les travailleurs de Citroën vont engager la lutte d’une manière inédite : l’occupation de l’entreprise.
Je le cite :
« C’est la CGTU qui animait l’action. Un comité central de grève est élu. Il comprend selon des périodes de 80 à 180 membres, il est composé des syndiqués unitaires (CGTU), mais aussi confédérés (CGT) qui la plupart déchirent leur carte, de non syndiqués, des communistes, des socialistes, des chrétiens ».
Une résolution générale du 7 ème congrès de la Fédération Unitaire de 1933 montre le chemin parcouru et la démarche entamé par Croizat et ses camarades dont Timbaud, Costes, Semat…
Je la cite : « … l’application d’une large démocratie prolétarienne permettant à l’ensemble des ouvriers de participer à la direction du mouvement par l’élection et le fonctionnement d’un large comité de grève a assuré une bonne direction et une orientation énergique du mouvement. Cette grève a contraint le patronat de la métallurgie parisienne à renoncer provisoirement à la forme d’attaque massive et collective contre les salaires que tentait d’inaugurait Citroën… ».
Cette démarche va faire écho partout et sera au cœur des occupations d’usines en 1936.
LA GREVE DE MARSEILLE
Concernant un autre moment fort, la grève des ouvriers métallurgistes de Marseille et environs, Croizat va y être partie prenante pendant plusieurs semaines, c’est lui qui insuffle le contenu revendicatif à l’écoute des salariés.
Je vais donc reprendre une de ces interventions dans la « Vie ouvrière » en forme de compte rendu qu’il fait pour l’ensemble des lecteurs, je le cite : « En 1930, commençait à se manifester la crise économique, la région métallurgique des Bouches du Rhône occupe encore 20000 ouvriers. Aujourd’hui (En 1933) l’effectif a sensiblement diminué 14000 » et il détaille cette réduction dû à la crise pour ensuite en venir à la situation de ceux qui restent et il indique : « les métallurgistes ont au cours de toute l’année 1932, subi quatre diminutions successives qui représentent pour ces derniers, une réduction globale de 4 francs par jours » et il parle alors de la duperie de l’indice mis en place par les confédérés et les pouvoirs publics.
Il va alors proposer l’idée d’un vrai contrat de garantie des salaires et il dit : « une telle idée venant de la part des ouvriers inorganisés, prouvait donc qu’elle répondait aux préoccupations d’une quantité importante de métallurgistes de la région ».
Des rassemblements sont alors organisés, un meeting se déroule avec plus de 1000 ouvriers et il n’oublie pas l’organisation syndicale et sa force et émerge l’objectif d’un congrès des usines.
Cette bataille souligne aussi les résultats obtenus et Croizat met en avant celui de La Ciotat, fief confédéré, et il précise : « nous ne possédons aucune organisation mais notre influence s’y renforce chaque jour, le dernier meeting du Front Unique que nous avons convoqué a réussi : plus de 400 ouvriers, la plupart confédérés » et il cite les avantages obtenus : Vers un nouveau contrat collectif, augmentation de 4 francs par jour pour tous, travail aux pièces 25% du salaires nominal et une série de dispositions ayant trait aux conditions de travail et aussi le refus de l’échelle mobile car elle est tenue par les officines patronales.
Il finit son article par une grande satisfaction : 300 adhésions nouvelles sont enregistrées.
Toutes ces actions montrent que les choses bougent dans le paysage syndical et politique, cela va aller vite après les grandes manifestations de 1934 contre le fascisme qui se développe en France et la réaction tente de franchir le pont de la Concorde pour essayer de s’emparer du Palais Bourbon où siège l’Assemblée Nationale. Le 12 février, c’est alors la rencontre et la fusion des deux forces syndicales opposées pour faire front à cette montée de l’extrême droite française et la grève générale fut un succès partout en France.
BREGUET ET LE DECLENCHEMENT DES OCCUPATIONS DANS TOUTE LA FRANCE
Croizat est au cœur des combats de 36 et on le retrouve au Havre lors du conflit qui se déclenche à Breguet concernant le licenciement de deux ouvriers, première occupation de 1936, et qui prendra immédiatement une grande ampleur puisque toute la France des usines va entrer en occupation pour la satisfaction des revendications et appuyer le Front populaire qui a triomphé aux élections législatives de 1936 et pour que les revendications ne restent pas au bord du chemin.
Cette grève avec occupation démarre sur la réintégration de deux ouvriers licenciés Adrien Friboulet et Vachon : le rapport de force permet de gagner et cela se répandit comme une trainée de poudre : on pouvait faire reculer les patrons de combat qui régnaient dans ces entreprises où ils avaient tout pouvoir. Les deux journées de grève seront payées, le Chef du Personnel sera déplacé. Une sentence arbitrale sera rendue par le Maire.
Un tonnerre d’applaudissements éclatera pour saluer cette victoire formidable.
L’unité syndicale est bien au cœur de cette formidable mobilisation que les dirigeants de la CGTU cherchaient à développer dès les années trente et Croizat avec Frachon en sont surement pour quelque chose au sein de la Confédération unitaire avec Moumousseau le directeur de la Vie Ouvrière.
Je ne développerai pas cette grande grève générale unitaire du mouvement ouvrier en France, qui marquera, comme celle de 1968, historiquement, les grandes conquêtes sociales de ce pays en n’oubliant pas celles de libération. Ce que l’on peut dire c’est que le travail effectué dans la CGTU pour un syndicalisme de masse – ce que Frachon et Croizat et leurs camarades appellent le Front unique – va créer ces conditions nouvelles qui naissent en 1936 : réunification de la CGT, rassemblement contre les menées fascistes en France, programme revendicatif où la convention collective devient l’outil nécessaire pour rassembler pour la satisfaction des revendications.
C’est d’ailleurs dans cette unité retrouvée que Croizat devient le Secrétaire général de la Fédération des travailleurs de la Métallurgie qui se réunifie lors du congrès CGT de Toulouse et se confirme par un congrès fédéral à Paris en Novembre 1936.
Le succès est grand et dans la métallurgie, la CGT réunifiée devient une force syndicale considérable : plus de 800 000 d’adhérents alors qu’avant la réunification on peut considérer que les forces additionnées de la Fédération confédérée et celle de la Fédération unitaire ne dépasse pas ensemble les 40000 adhérents selon « les Hommes du métal ».
LES RETOMBEES DES ACCORDS MATIGNON
Ce nombre d’adhérents va donner une nouvelle dimension aux activités fédérales et aux Unions Syndicales départementales de la Métallurgie.
Frachon et Croizat et leurs compagnons vont alors travailler à ce que cet argent collecté par l’afflux massif de cotisants soit bien utilisé et l’on sent bien l’inspiration de Croizat dans les décisions qui seront prises de mettre en place des Unions fraternelles dans le pays et va naitre par exemple dans la région parisienne toute une infrastructure sociale pour venir en aide aux travailleurs de la métallurgie tant sur le plan professionnel que sociale. Va naitre ainsi un centre de formation professionnelle, c’est nouveau à cette époque que le mouvement ouvrier s’implique dans la formation professionnelle des salariés et l’on peut y voir le travail de la Fédération concernant l’introduction de nouvelles technologies et ne pas être pris en défaut par une organisation du travail qui se modifie ne serait- ce qu’avec le travail à la chaine et je vous ai dit à quel point ces questions hantaient Croizat notamment dans les luttes à Citroën et Renault.
Plus précisément encore son implication sur les conditions de travail et la santé se remarquent dans les réalisations sociales qui se mettent en place et notamment un centre de soin et une mutuelle pour les métallurgistes ainsi qu’une caisse primaire des métallurgistes pour les assurances sociales et là on sent poindre l’intérêt qu’il prend pour ce que sera la Sécurité sociale à la libération.
L’acquisition en 1937 de ce qui deviendra par le suite la maison des métallos ( lieu de réunions syndicales par excellence) et aussi le parc de loisirs de Baillet et le château de Vouzeron dans le Cher par les syndicats des métaux de la RP, montre que les métallos ont à cœur de faire en sorte que les travailleurs puissent se former, se cultiver, se reposer, prendre des loisirs et nous ne sommes pas loin de ce qui sera aussi au cœur de son invention sociale : la naissance des comités d’entreprises en 1945. Mais là, j’ai le sentiment que j’entre dans le thème de Croizat le Ministre et je n’en dirai pas plus.
La période qui vient ne sera pas de tout repos et Croizat manifeste aussi un intérêt certain sur les questions industrielles et notamment des productions de l’acier dont on sent bien que les maitres de forges vont tout faire pour que le devenir industriel et économique du Front populaire soit asphyxiée : chacun sait à quel point ce patronat du Comité des Forges veut déjà sa revanche sur les accords Matignon.
Il intervient aussi sur les questions de la réduction du temps de travail, les 40 heures viennent d’être gagnées et l’on pressent que cette question du temps de travail fait partie de sa démarche à travers le temps pour vivre et les congés payés verront encore d’autres évolutions sous son ministère après la libération.
Il n’a pas son pareil pour montrer du doigt l’attitude revancharde du patronat et des 200 familles qu’il stigmatise dans ses articles et leur attitude de plus en plus marquante à être avec l’ennemi hitlérien reprenant la célèbre phrase de cette bourgeoisie : « plutôt Hitler que le Front Populaire ».
Ce Front populaire ne va vivre que peu de temps, les divisions apparaissent et sans entrer dans le détail de cette période, les pressions patronales et les menaces de guerre entrainent la remise en cause des lois du Front Populaire, une grande grève sera réprimée en 1938 et derrière cette grève le climat se tend dans la CGT et les accords de Munich puis le pacte germano-soviétique permettront à tous les anti-unitaires de remettre en cause l’unité de la CGT et ce sera l’expulsion de la CGT des dirigeants unitaires et des syndicats qui ne font pas allégeance et donc au retour de la CGT Confédérée dirigée par ceux qui n’avaient pas accepté de gaieté de cœur l’Union.
LA PRISON POUR CROIZAT ET SES CAMARADES
Des militant et dirigeants sont alors arrêtés et comme vous le savez Croizat et ses camarades seront emprisonnés et d’autres seront comme Gautier et Timbaud victimes du nazisme et de la collaboration, notamment par des dirigeants CGT confédérés de la métallurgie qui se renièrent jusqu’au point de devenir les pires collaborateurs de Vichy par la charte du travail, auquelle ils vont contribuer avec l’UIMM, comme ils contribueront pendant toute la guerre à la dénonciation des camarades en résistance mais là, je m’éloigne à nouveau de mon thème imparti. Croizat sera emprisonné Maison Carrée à Alger, le livre des 27 du chemin de l’honneur, nous livre ce que fut le calvaire de ces militants syndicaux et politiques dans cette prison et les témoignages ne manquent pas sur le rôle joué par Croizat dans ces moments difficiles.
LIBERATION
Lui et ses compagnons du Chemin de l’honneur furent libérés après bien des contorsions en 1943 et Croizat va rejoindre la France de la Résistance, et depuis Alger, il travaille à ce qui se fera à la Libération en matière les nouvelles conquêtes sociales. Il est dans les commissions qui traitent des questions sociales de la libération. Il sera d’ailleurs à la libération de la France, dés 1944, président de la Commission des affaires sociales en qualité de syndicaliste et de Secrétaire général de la Fédération de la Métallurgie reconstituée et réunifiée. De l’avis de ceux qui l’ont côtoyé, c’est un interlocuteur pugnace sur toutes les lois sociales.
Interlocuteur pugnace, oui ! Ils durent, ceux qui pensaient que les projets sociaux de la libération ne verraient pas le jour concrètement, vite déchanter devant la volonté de cet homme de voir les travailleurs bénéficier de conquêtes sociales qu’il avait, avec ses camarades, mis en chantier dans les réalisations sociales au moment du Front Populaire.
CROIZAT MINISTRE ET SECRETAIRE GENERAL DE LA FTM CGT
Mais, comme il faut en arriver à cette période qui va de 1945 à sa disparition, je ne vous parlerai que de son rôle délicat quand il est ministre tout en étant toujours le Secrétaire général de la FTM CGT. Il laissera le soin à Raymond Semat et au secrétariat de remettre sur pied la Fédération des métaux et en état de marche. Mais sa présence est toujours là, discrète, mais utile pour son rôle de ministre, car il ne veut pas être éloigné des problèmes qui se posent dans un pays détruit et ruiné par la guerre, et la façon de reconstruire le pays implique pour lui la nécessité de garder le contact direct avec les salariés et les militants et il se déplace dans le pays pour rencontrer à nouveau les salariés, il inaugure des caisses de Sécurité sociale, il défend les salariés concernant l’application des grilles de salaires, il travaille la représentation des salariés dans les entreprises et notamment les comités d’entreprises.
Il sait qu’il peut s’appuyer sur une Fédération de la Métallurgie forte puisqu’elle approche le million de syndiqués, c’est une force considérable et il s’adossera tout au long de son ministère sur cette force qu’est la CGT, qui elle, culminera à 5 millions d’adhérents, pour atteindre les objectifs de conquêtes sociales et notamment la réalisation du Programme du Conseil national de la Résistance.
Ses interventions lors des congrès de la CGT montre à quel point il reste attentif aux problèmes que rencontrent les salariés à cet époque et notamment concernant le relèvement des salaires, les retraites, les allocations familiales, l’amélioration de conditions de travail, les conventions collectives et le droit syndical.
Il reprend son responsabilité de Secrétaire Général de la Fédération des travailleurs de la Métallurgie. Il va tout de suite agir pour les revendications et notamment sur l’unité d’action qui devient son let-motiv de l’époque, de la nécessité de prendre toutes les revendications jusqu’au carreau cassé, comme l’ont exprimé bien longtemps encore après les militants pour mettre l’accent sur la présence syndicale au plus près des ateliers services et bureaux. C’est la période où éclatent des mouvements revendicatifs sur les salaires car les travailleurs se plaignent des hausses des prix à jet continu et il dit -et cela nous rappelle ce qui se passe en ce moment- je le cite : « il est certain qu’ on ne peut pas , à la fois, s’inféoder au dollar, courber l’échine devant les volontés des financiers de Wall-Street et s’occuper de la France et de la classe ouvrière, principal élément sur lequel nous comptons pour la reconstruction du pays et pour la défense de la république ».
Il engage le fer dans les derniers moments de sa vie contre le cartel de l’acier qui se transforme en Communauté Européenne du Charbon et de l’acier. Il ne s’est pas trompé, l’acier français puis européen a été écrabouillé par ce rassemblement de l’industrie de l’acier sous la houlette des maitres des forges européens qui l’ont ensuite cédé à des nouveaux maitres de forges, véritables rapaces, qui ont détruit cette industrie comme on le voit aujourd’hui avec ce qui se passe en Lorraine avec les dernières installations que Mittal veut détruire.
Avant de conclure, on peut rappeler encore quelques unes de ces contributions concernant les conditions de vie et de travail dans « La vie ouvrière » ou encore sur les salaires et les classifications, la formation professionnelle, la médecine du travail.
Toutes ces contributions vivaient de sa connaissance du monde du travail, des siens, qu’il avait tant côtoyés dans la misère et qu’il voulait émanciper. Je rappellerai simplement un dernier texte de sa part celui relatif aux questions salariales :
C’est une note datée du 19 décembre 1945 et il insiste auprès des inspecteurs et directeurs du travail pour que ceux-ci obligent les employeurs à appliquer les salaires horaires aux maxima prévus sans répercussion sur les prix des marchandises et cette note montre à quel point le salaire est l’expression non du cout du travail comme certains l’insinue aujourd’hui mais du prix de cette force de travail dans le partage des richesses produites .
Je souligne aussi cette importante déclaration de Croizat pour dire qu’aujourd’hui nous en sommes revenus à des minimas dans les entreprises et que ces minimas sont en dessous du SMIC dans certaines des conventions collectives. Et il revient à cette époque sur ce qui a toujours été sa démarche, le contrat collectif fait par les travailleurs et il souligne que l’idée d’une convention collective nationale ne pouvait être valable que si elle s’appuie sur des conventions locales et départementales.
Elle était suivie d’une autre de ces déclarations parues dans la Vie Ouvrière de janvier 1949 où il s’insurge contre le commerces des armes et le réarmement et je le cite encore : « on parle d’obus, de chenillettes, de chars … pourquoi faire ? Il faut réclamer avec toute la population laborieuse non pas des armes de guerre, mais des camions, des tracteurs, des avions de commerce, des machines outils. Nous voulons travailler à la reconstruction et au rééquipement, c’est-à-dire à la paix » : n’est-ce-pas toujours d’actualité, aujourd’hui, où il faut reconquérir notre industrie ?
Enfin, dernière chose, une phrase qu’il répétait souvent et qui montrait à quel point la division syndicale était perçue chez lui comme contraire à sa conception du syndicalisme de classe et de masse : il disait aux travailleurs dans cette période de dures réalités : « Pas Unis pas d’acquis ».
[1] Dans la tradition socialiste et plus spécifiquement marxiste, le Front unique est une tactique qui permet de travailler ensemble avec des militants qui ne sont pas d’accord sur tout, sans pour autant gommer les désaccords.
C’est la Troisième Internationale qui développe en détail cette tactique. Selon l’analyse de la Troisième Internationale, les partis socialistes, qui ont soutenu avec enthousiasme la première guerre mondiale, ont ainsi montré qu’on ne peut aucunement leur faire confiance pour transformer le capitalisme en une nouvelle société. Cependant, des millions de travailleurs continuent de soutenir ces partis et les syndicats liés à ces partis. La tactique du Front unique est de proposer à ces partis de travailler ensemble dans des combats spécifiques, pour des objectifs partiels. Ainsi le manque de confiance dans ces partis ne doit pas empêcher de travailler avec eux contre le racisme, pour des augmentations salariales, pour des mesures sociales etc.
Selon la théorie du Front unique c’est en combattant aux côtés d’un grand nombre de travailleurs qui ont des illusions dans les partis réformistes que les révolutionnaires peuvent démontrer la validité de leurs explications du monde.
C’est dans ce contexte qu’il a été dit que « les révolutionnaires doivent être les meilleurs réformistes. »
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article932