Intervention au Ceser au titre de la Cgt, la Cfdt, la Cftc, l’Unsa, Solidaire, la FSU
Cette contribution de la Commission 9 concerne les dispositifs pour lutter contre la précarité alimentaire. Au regard des urgences exprimées lors des auditions (saturations des structures existantes, afflux massif de nouveaux « bénéficiaires » résultant de la crise Covid 19 (travailleurs précaires et étudiants notamment), nous approuvons les préconisations présentées. Cependant, en se limitant principalement à des préconisations axées sur l’aspect curatif du problème, ces formes d’intervention risquent de continuer à courir derrière les urgences : après la crise Covid, s’annonce celle de l’inflation, avec un impact estimé de 90 euros par mois et par ménage. Et de façon plus structurelle et massive, le dérèglement climatique et la perte de biodiversité ont et auront des conséquences dramatiques, et pour certaines irréversibles, sur la production agricole et sur les coûts de l’alimentation.
Lutter contre la précarité alimentaire, c’est avant tout lutter pour la justice sociale et le partage des richesses
Notre rapport du CESER rappelle que la précarité alimentaire n’est que l’une des précarités, qui se combinent le plus souvent avec d’autres : précarité de l’emploi, précarité énergétique, problématique de la mobilité, précarité de logement, précarité sanitaire, etc. Les questions du pouvoir d’achat, « du pouvoir de vivre » sont essentielles et deviennent une urgence pour de plus en plus de citoyennes et de citoyens.
Aussi, pour nos organisations, la première des recommandations est de lutter contre l’ensemble des précarités en ayant une vision et une analyse globales, de poser la question de la répartition des richesses, d’avoir une approche systémique. Le coût de la précarité alimentaire, ce n’est pas seulement les budgets consacrés à l’aide alimentaire, c’est aussi le coût des maladies induites et des vies diminuées, les potentiels perdus en raison de scolarités perturbées, le coût social.
Notre rapport pointe que 20 % des bénéficiaires de l’aide alimentaire ont un emploi et 17 % sont des retraités, selon l’étude IPSOS fin 2020. Aussi, il conviendrait, d’une part, de compléter les recommandations du rapport par un appel à une augmentation sérieuse des bas revenus, des petites retraites et des minimas sociaux et, d’autre part de chercher des solutions viables, durables et pérennes aux travailleuses et travailleurs en temps partiel imposé, aux personnes ne pouvant pas travailler, et aux sans-papiers.
Contrairement au regard critique, souvent dévalorisant, porté sur les « pauvres » et sur leurs comportements, le sociologue Denis Colombi, dans son ouvrage « Où va l’argent des pauvres : Fantasmes politiques, réalités sociologiques », démontre que les plus pauvres gèrent leur argent de manière tout à fait rationnelle. Il faut déconstruire cette idée reçue, du pauvre mauvais gestionnaire. Parmi les personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, une fois déduites les dépenses pré-engagées sur l’évolution desquelles il n’y a que peu de «prise» (évolution des coûts du logement, de l’énergie, des transports, …), une sur deux a moins de 340 euros[1] pour s’alimenter, s’habiller, payer éventuellement des frais de santé ou une activité sportive ou culturelle. Et dans ces cas, l’augmentation des ressources est la réponse la plus pertinente face à l’ensemble des précarités et face à la précarité alimentaire en particulier. Nous sommes aussi invités à changer notre regard sur les personnes en précarité et à lutter contre les préjugés.
Sécuriser la production agricole par un changement de système
Par ailleurs, nous devons dépasser les limites de l’organisation agricole et alimentaire actuelle, avec des actions structurantes visant à « mieux prévenir » la précarité et portant sur la « sécurisation » de notre système alimentaire. Cela pourrait passer par
- Une reconquête de l’autonomie agricole et alimentaire, sans engrais chimiques en provenance d’Ukraine ou d’ailleurs, en limitant notre dépendance à l’international tout en étant attentif à une nécessaire solidarité entre les peuples.
- La protection du foncier agricole, qui doit passer des intentions à une réalité et il y a urgence.
- Amplifier la lutte contre le gaspillage alimentaire à tous les stades des filières.
- L’amélioration des rémunérations des travailleuses et travailleurs agricoles (paysans, salariés). Face à la pénurie de main d’œuvre, ces métiers doivent être valorisés.
- Un rééquilibrage dans la consommation de produits animaux et végétaux en diminuant la consommation de viande et en favorisant les fruits et légumes, légumineuses, céréales complètes et fruits à coques, tout en respectant les repères nutritionnels. Pour une large partie d’entre nous, nous pourrions réfléchir à manger moins mais mieux, avec un bénéfice sanitaire, environnemental et financier.
Les pistes pour mieux prévenir la précarité et sécuriser notre système alimentaire sont nombreuses. On peut rajouter :
- L’accès à une cuisine et pas uniquement à un micro-ondes dans les résidences étudiantes, les centres d’hébergement, les foyers d’accueil pourrait être mieux pensé et devenir la règle.
- Les actions en matière d’éducation à l’alimentation, à tous les âges, indépendamment du niveau social, restent un grand chantier dans notre pays. Ces actions pourraient insister particulièrement sur le développement des savoir-faire et compétences culinaires populaires et permettre d’améliorer la compréhension des systèmes d’affichage nutritionnel, environnementaux et sociaux, et expliciter les enjeux de l’alimentation tant pour les personnes que pour la planète.
- Quant à la restauration collective, notamment au niveau des scolaires, il existe encore du travail pour poursuivre la sensibilisation aux enjeux en matière de santé publique et accompagner au changement des modes de consommation.
Le droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous
Dans notre région AURA, l’une des plus riches du monde, il apparaît anormal que la question de la précarité alimentaire soit encore aussi structurellement prégnante et si sensible aux évolutions conjoncturelles. La Région pourrait se fixer l’objectif de permettre l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous et contribuer à faire reconnaitre un droit à l’alimentation dans le droit français ou dans le socle européen des droits sociaux. Dans le cadre de cette ambition, elle pourrait s’appuyer sur une analyse des nombreuses initiatives existantes en région, issues de structures «anciennes» ou ayant émergé durant la pandémie de la Covid19, notamment celles couplant production et distribution, pour définir une stratégie et les moyens associés pour garantir l’accès pour toutes et tous à une alimentation durable, saine, suffisante, diversifiée, digne et choisie.
[1] « Dépenses pré-engagées : quel poids dans le budget des ménages ? » Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, les dossiers de la DRESS, mars 2018.