La Cgt, tout en dénonçant le projet de loi sur l’apprentissage du gouvernement, a voté pour l’avis du Ceser, celui portant la nécessité d’une régulation publique de l’apprentissage.
Notre avis a pour objectif de tenter de définir l’intervention régionale dans le nouveau contexte que créerait l’adoption du projet de loi « liberté de choisir son avenir professionnel ». Après un état des lieux, une large part est consacrée aux différentes étapes d’élaboration du projet de loi sans donner d’appréciation puisque ce n’est pas l’objet de la saisine.
Quelques mots cependant pour caractériser rapidement ce projet de loi sans entrer dans tous les détails puisque le débat parlementaire peut modifier le texte : très cohérent avec les réformes « en marche », il porte à la fois : centralisation, libéralisation, individualisation.
Centralisation parce que les Régions perdent la compétence apprentissage au profit d’une agence nationale « France Compétence » qui absorbe toutes les instances paritaires nationales quadripartites, et qui sera tripartite : Etat/Régions/partenaires sociaux !
Depuis plusieurs décennies, les régions ont mis en œuvre une politique d’apprentissage en croisant au niveau territorial les besoins des jeunes, ceux des territoires et des entreprises. Si des améliorations étaient possibles, la réforme place l’apprentissage sous la responsabilité des branches professionnelles avec le risque d’accentuer les fractures territoriales. Il n’est laissé aux Régions que la mission de veiller à un équilibre territorial, mais sans moyen financier (250 millions pour l’ensemble qui seront alloués aux régions les moins riches, alors que l’ensemble des régions consacrent aujourd’hui 1,4 milliards à la gestion de l’apprentissage).
Alors que les régions ont la responsabilité d’un service public de l’orientation conçu comme un réseau de différents acteurs, le projet de loi leur transfère l’ONISEP (Office National d’Information sur les Enseignements et les Professions) sans concertation ni réflexion et la disparition des CIO (Centres d’Information et d’Orientation) se profile dans les discours officiels.
France Compétences distribuera aux Centres de Formation des Apprentis via des Opérateurs de Compétences (qui remplaceront les OPCA Organismes Paritaires Collecteurs Agréés) un financement alimenté par les contributions appelée « alternance » collectées par les URSSAF et la Caisse de Dépôts et Consignations.
Libéralisation parce que l’apprentissage est livré sans régulation à la loi du marché et de la libre concurrence, c’est ce qui conduit l’Association des Régions de France à parler d’une privatisation : tout organisme ou entreprise est libre de créer un centre d’apprentissage, dès lors qu’il s‘adapte « à la demande des entreprises de façon réactive pour mieux répondre à leurs besoins et attentes sans autorisation administrative » (citation du dossier de presse de Matignon). Ne sont pas évoqués les observatoires de branches susceptibles de formuler des préconisations négociées anticipant les évolutions des métiers. Ce ne sont ni les besoins des jeunes et de leurs familles, ni les besoins de l’économie nationale en termes d’élévation des niveaux de qualification qui sont mis en avant. Il s’agit clairement de satisfaire les exigences de court terme de certains employeurs au détriment des jeunes, de l’ensemble des entreprises et des territoires.
Le financement est assuré au contrat, sur la base d’un coût contrat négocié dans la branche professionnelle.
Les conflits liés au contrat de travail qu’est le contrat d’apprentissage ne relèvent plus du tribunal des prudhommes, mais d’une médiation encore mal définie.
Même si cela n’est pas modifié dans le Code de l’Education, le contrat d’apprentissage est, de fait sorti de la formation initiale pour entrer dans le juteux marché de la formation professionnelle, alors que le bilan de la dérèglementation de ce secteur, multipliant les intervenants, pose de sérieuses questions sur la qualité des formations.
Les certifications échappent à la règlementation nationale pour relever de l’agence France Compétences. L’apprentissage est aujourd’hui une voie de formation initiale, aboutissant à un diplôme qualifiant et certifié. Le projet de loi prévoit de limiter la validité des diplômes et titres professionnels à 5 ans, les titres actuels n’étant valablement inscrits au RNCP (Répertoire National des Certifications Professionnelles) que jusqu’au 1er mars 2024, nous redoutons également la disparition ou la marginalisation des diplômes au profit de titres prof. et Certificats de Qualifications Professionnelles (CQP) quinquennaux dans les CFA.
Cette réforme risque de réduire l’apport théorique nécessaire à leur future intégration dans des emplois nécessitant de plus en plus de connaissances et des qualités d’adaptation
Individualisation
Parce que l’apprentissage n’est plus inscrit dans un cadre collectif de régulation,
Parce que Les jeunes peuvent entrer en formation à n’importe quel moment de l’année, alors que les formateurs des CFA soulignent l’importance du soutien pédagogique que représente le groupe classe. Développer les innovations pédagogiques nécessaires suppose des moyens supplémentaires qui ne sont pas garantis par la réforme.
Parce que les protections dont bénéficient les apprentis ne sont plus garanties par la loi : adaptation des règles concernant les conditions de travail alors que les statistiques du ministère du travail montrent que les jeunes sont beaucoup plus exposés aux risques que les autres salariés, par exemple 16% des salariés de moins de 25 ans sont exposés à au moins un produit cancérogène chimique, alors que
pour les plus de 50 ans, cette proportion est deux fois moins importante (7 %) Ce risque monte à 24% pour les apprentis et stagiaires qui sont donc particulièrement exposés ! Dans le secteur mécanique-travail des métaux, les apprentis ouvriers enregistrent un taux d’exposition aux produits cancérigènes de 70% ;
Parce que le financement au contrat met en péril les plus petits centres de formation des apprentis et des sections aux effectifs réduits qui existent hors des grandes villes ou dans des métiers rares. L’Association des Régions de France, comme les Chambres Consulaires considèrent que près de la moitié des CFA seraient en danger ;
Parce que le processus d’évaluation et de négociation des besoins de qualifications qui prévalait à l’élaboration au niveau régional de la carte des formations ne concernera plus l’apprentissage ;
Parce que les aides aux apprentis pour l’hébergement, le transport et la restauration, distribuées aujourd’hui par la Région ne seront plus garanties. Alors que les apprentis bénéficient aujourd’hui de dispositifs communs avec les lycéens, L. Wauquiez a annoncé qu’il les réserverait à l’avenir aux seuls lycéens.
Le groupe de travail a pris connaissance du contenu du projet de loi au cours de ses travaux et a rappelé dans son projet d’avis les principales préconisations que nos deux CESER avaient formulées sur l’apprentissage lors des mandats précédents.
Au regard de nombreuses imprécisions qui subsistent dans le projet de loi, le groupe de travail a focalisé ses préconisations sur la question essentielle de la régulation publique régionale.
En effet, le projet de loi laisse la possibilité aux régions de conclure des contrats d’objectifs et de moyens pour contribuer au développement de l’apprentissage, possibilité largement pénalisée par le contexte actuel de réduction des moyens d’agir de l’ensemble de collectivités.
La CGT ne partage pas le choix validé par l’accord interprofessionnel du 22 février (qu’elle n’a pas signé) assimilant contrat d’apprentissage et contrat de professionnalisation dans une proposition de schéma régional de l’alternance, qui est évoquée dans l’avis, mais pas reprise dans le projet de loi.
Pour nous, le contrat d’apprentissage doit rester une formation initiale régulée au niveau régional dans une démarche quadripartite associant les rectorats, la Direccte, les organisations syndicales de salariés et d’employeurs.
Nous partageons l’exigence essentielle au centre de nos préconisations d’une régulation publique de l’apprentissage et nous voterons donc cet avis.
Mais nous ferons tout ce qui sera possible auprès des parlementaires et dans l’action syndicale pour que ce projet de loi qui concerne aussi la formation professionnelle et l’assurance chômage ne soit pas adopté en l’état.
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1414