Appréhender les mutations socio-économiques dans toutes leurs dimensions n’est pas une nouveauté pour la CGT. Depuis plusieurs années, nous avons engagé une démarche d’anticipation, des changements majeurs auxquels nous sommes confrontés et il faut le souligner, d’une manière extrêmement rapide, de façon transversale à toutes les activités économiques qu’elles soient industrielles, de services, des services publics, des territoires.
Anticiper, ce n’est ne pas subir, mais garder le pouvoir d’agir, repenser la façon de produire de la valeur, la redistribution des gains de productivité et de richesses, les solidarités territoriales par d’autres alternatives, un nouveau paradigme.
Une des orientations majeures de la CGT est l’affirmation de la place essentielle qui concernent et qu’auront les activités industrielles pour la satisfaction des besoins sociaux, sociétaux, environnementaux. Dans ce changement de paradigme que nous appelons “le développement humain durable“, nous tranchons avec l’approche dominante par le marché et la valeur marchande.
Répondre aux défis du réchauffement climatique et aux besoins toujours plus importants en termes de logements, de transport, de santé, d’alimentation, de vieillissement, etc… demande un développement de la recherche, de la production et des emplois dans les activités concernées. En même temps, cela demandera le plus souvent une re-conception qualitative des activités agricoles, industrielles pour intégrer les apports de nouvelles technologies, du numérique notamment mais aussi les coûts que l’on qualifie “d’externes” (l’évolution des procédés, prise en compte dans la conception du devenir des produits, durabilité, réparabilité et de leur recyclage, réduction de la commission d’eau et d’énergie, réduction des effluents et des déchets, impact sur l’environnement comme sur les travailleurs de ces activités), autrement dit viser l’économie circulaire.
Mais pour réussir ces évolutions, encore faut-il qu’il reste, en aval des centres de recherche, d’innovation, de développement et en étroite synergie avec ceux-ci, une base industrielle capable de produire, d’attirer de nouveaux salariés, d’expérimenter, de mettre au point et de produire ici ce qui est nécessaire aux populations et de traiter ici les problèmes environnementaux induits et non d’en exporter la solution au moindre coût (exemple en Inde de la déconstruction des navires amiantés).
Une autre condition est évidemment le développement de services publics de haut niveau, seuls à même de garantir une orientation et une traduction des décisions socio-économiques dans le sens de la réponse aux besoins de la société, des salariés, des populations en termes de santé, transport, éducation, formation…
Cette conception syndicale et cette démarche collective rentrent donc bien en résonnance avec les considérations du CESER sur les mutations : Elles sont le résultat de plusieurs causes : numérique, impact écologique et énergétique, évolution comportement, rôle des consommateurs, mondialisation, financiarisation de l’économie.
Elles généreront à terme de nouvelles productions, de nouvelles habitudes de consommation et de nouvelles de sécurité, voire de nouvelles régulations du partage de la valeur.
Elles comportent des éléments inéluctables certes mais non irréversibles qui doivent être accompagnés afin d’en infléchir le cours.
Le territoire, lieu de proximité où vivent et travaillent les populations est une bonne maille pour aborder ces défis et porter des projets alternatifs.
La gestion, l’accompagnement des mutations socio-économiques supposent une anticipation collective des capacités de transitions professionnelles, productives, croisées emploi – formation / production / territoire.
Le CESER, dans ce premier cahier sur les mutations, nous a également invité à réfléchir, à s’approprier les innovations, l’économie disruptive.
De quoi s’agit-il ? Sommes-nous confrontés dans ce XXIème siècle à une nouveauté porteuse de tous les dangers ?
Devons-nous faire face à une troisième phase d’automatisation, de nouvelles technologies, dans une combinaison robotisation – big data où peu d’emplois seront créés ? Existe ici un risque fort d’une segmentation de plus en plus importante entre les salariés et une masse de personnes précarisées ou sans emploi, réduite aux minimas sociaux, dont le capitalisme n’a plus besoin, tel que l’illustre l’économiste polytechnicien Pierre-Noël Giraud dans son livre sur “l’homme inutile”.
Cette transformation de la production pourrait permettre aux salariés de s’affranchir d’un certain nombre de tâches répétitives, pénibles, de reprendre la main sur le travail, son organisation, sa qualité, son sens et sa finalité. L’économie disruptive et les transformations engendrées doivent être l’occasion de poser fortement les questions : Produire quoi ? Pour qui ? Comment ? Au service de qui ?
La qualité du travail impose la confrontation sur l’organisation et la démocratie au travail, de recréer du collectif, des espaces de dialogue, de respirations, de remettre l’humain au cœur d’un nouveau type de développement durable. Elle percute donc le court-termisme, la qualité des produits, des services, leur durabilité, donc forcément la marchandisation, la financiarisation et un type de mondialisation.
Dans ces conditions, serons-nous à même de repenser la répartition des gains de productivité en diminuant fortement le temps de travail pour travailler mieux et tous en développant les formations tout au long de la vie, en reconsidérant la nature du travail et la manière de le socialiser ? Cette réflexion sur une meilleure articulation vie professionnelle, vie sociale, utile à l’ensemble de la société à travers une émancipation des travailleurs et un développement des activités sociales, sociétales, créatives, s’inscrit dans notre conception d’une sécurité sociale professionnelle.
L’apparition de nouveaux usages, services, de nouveaux acteurs, la place du consommateur, la désintermédiation, l’économie collaborative est-elle porteuse d’opportunités ou de risques ? Quelles seront les nouvelles régulations, sécurités à repenser ?
Assistons-nous à des transformations profondes du marché et des systèmes de valeur de l’économie capitaliste avec l’arrivée de nouveaux modèles économiques ?
Ces questionnements ont traversé les réflexions et les échanges de la commission 1.
La CGT partage l’avis du CESER qu’il y a un vrai enjeu à informer, sensibiliser les acteurs sur les économies disruptives. L’appropriation est une condition majeure pour garder le pouvoir d’agir, d’anticiper et proposer des solutions alternatives.
Les réponses collectives, à travailler sur les différents secteurs impactés sont aussi à considérer sous l’angle du développement de la démocratie sociale et participative, en territoire. Les lieux où on détermine les innovations, ruptures, transitions à venir pourrait être des observatoires des métiers à partir de l’angle de la chaine de valeur. Cela nécessite de bien redéfinir le croisement des mailles territoriales et multisectorielles.
Enfin, la nouvelle agence régionale mise en place par le nouvel exécutif est à mille lieux de ces enjeux et objectifs. Face à de tels défis, la logique du guichet et la seule participation des entreprises ne peut pas répondre aux besoins des acteurs : salariés, entreprises, citoyens.
Dans les suites des travaux et des deux cahiers à venir, nous souhaitons que trois points soient particulièrement abordés : Toute activité peut-elle être dématérialisée, nous pensons que non, la place de l’humain, les rapports sociaux demeurent essentiels.
Les mutations, évolutions, le tout technologie ne peuvent pas conduire à une perte de professionnalisation, à une infantilisation du travail, à une perte de sens, de déresponsabilisation au profit d’un diktat par les technologies, la robotisation.
Le besoin de nouvelles garanties individuelles et collectives est renforcé au vu des enjeux et des évolutions du travail. Un réseau d’universitaires vient de publier un nouveau code du travail, allégé et prenant en compte les nouvelles formes d’emploi.
Nous considérons que nous ne pouvons pas passer à côté de ces trois questions déterminantes. Ceci afin d’éviter que les profondes mutations auxquelles les salariés sont ou vont être confrontés se concrétisent par de nouvelles formes d’exploitation, d’aliénation au travail. C’est un défi social et sociétal.
Dans ces considérants, la CGT votera l’avis.
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1330