Dans le cadre de la nouvelle programmation des fonds européens 2014/2020, les régions peuvent prendre, si elles le souhaitent, la gestion de ces fonds. La Région Rhône Alpes souhaite exercer cette compétence, elle consulte donc le Ceser sur son mandat de négociation avec l’Etat pour obtenir la gestion des fonds sociaux (FSE) les fonds de développement (FEDER et FEADER).
Le groupe Cgt souhaite interpeller l’assemblée sur l’avis qui est aujourd’hui soumis au vote. Alors que cet avis s’est préparé dans l’urgence, en seulement 2 réunions avec un nombre resserré de conseillers et conseillères, il nous semble qu’il traite d’un enjeu stratégique majeur pour toute la région.
L’Europe est un enjeu central pour la Cgt.
L’échelle européenne est incontournable et pertinente pour penser une stratégie industrielle ambitieuse, permettant de répondre aux besoins économiques, sociaux et environnementaux de manière équilibrée sur le territoire européen. L’échelle européenne est partie intégrante des revendications et du projet porté par la Cgt, en termes d’harmonisation des droits sociaux, des politiques fiscales, etc. La pertinence et le caractère incontournable de l’Europe ne sont donc pas dénoncés ici, mais ce sur quoi la Cgt souhaite attirer l’attention, c’est que pour la première fois, la stratégie régionale est fixée par un cadre préalable déterminé par l’Europe. Ce cadre préalable est celui de la spécialisation intelligente.
C’est précisément de ce cadre qu’il nous faut discuter au sein de notre CESER. La spécialisation intelligente est clairement l’accentuation et l’accélération de la concentration des moyens humains et financiers sur une poignée de thèmes, de territoires et de filières, considérés comme étant des éléments d’excellence ; une tendance que la CGT a à maintes reprises dénoncée dans cette assemblée, car la seule politique de l’excellence et de surconcentration ne peut en aucun cas répondre aux besoins économiques, sociaux et environnementaux que la crise pose aujourd’hui avec force. C’est bien l’enjeu de la transformation du tissu productif régional compatible avec une transition énergétique, avec un développement durable qui nous est posé aujourd’hui, et c’est à ces besoins qu’il nous faut collectivement répondre.
Si la Cgt partage l’avis sur la nécessité de refonder le projet européen autour de valeurs communes, autour d’une « Europe de la proximité », nous ne partageons pas les moyens pour y parvenir. L’Europe de la proximité ne peut se construire que sur la base d’un équilibre des territoires, d’un maillage territorial, d’un développement industriel équilibré, dont l’objectif premier doit être la réponse aux besoins, et non la compétitivité pour la compétitivité, ou encore l’excellence pour l’excellence. Une Europe de la proximité est nécessairement une Europe de l’inclusion sociale, et est donc inconciliable avec une Europe de l’excellence excluante ; la surconcentration des moyens menant inévitablement à l’exclusion et donc au déclin de filières, de domaines entiers, d’emplois, et même de territoires entiers.
Les enjeux de l’innovation à tout prix
L’avis reprend à son compte une croyance forte qui ne cesse de montrer son inefficacité : la croyance selon laquelle les politiques d’innovation peuvent se substituer aux politiques industrielles, c’est-à-dire la croyance selon laquelle d’innovations découleront des créations de richesses.
Or, les politiques d’innovation depuis plusieurs années se réalisent au moyen d’un affaiblissement et d’une fragilisation extrême et préoccupante des universités, des organismes de recherche, de tout le système d’ESR dans notre région et plus globalement dans notre pays., Et quand l’innovation se développe rapidement, dans les territoires dits d’excellence avec des fonds publics conséquents, ces innovations débouchent peu voire pas du tout sur un développement industriel, sur la création de richesses, sur la création d’emplois, permettant la réponse aux besoins des populations sur le territoire.
En effet, les innovations permettent le développement d’entreprises et d’emplois dans la pré-industrialisation (création de prototypes, de pilotes), mais l’industrialisation se fait ailleurs. L’innovation ne crée donc pas de manière automatique et magique des richesses et des emplois sur le territoire. Pour ne prendre qu’un exemple, on peut évoquer l’exemple grenoblois mis régulièrement sous les feux des projecteurs : ce pôle d’excellence sur la micro-électronique (qui est une des 4 priorités rhônalpines) se manifeste aujourd’hui par des difficultés majeurs des grosses entreprises industrielles du bassin (difficultés de ST avec le retrait de STE notamment, etc.). On est aujourd’hui confronté à un risque du déclin de la filière micro-électronique grenobloise, posant des questions particulièrement préoccupantes sur le devenir des salariés, et le devenir par exemple du territoire de la vallée du Grésivaudan, qui est dans une situation de quasi mono-industrie. C’est donc bien ici un écosystème d’innovation un « bon élève » de toutes ces politiques qui est en train d’être mis en péril, avec des répercussions en termes d’emplois dans la recherche dans l’industrie, sur les filières de formation, etc.
Pour un développement harmonieux et équilibré des territoires
Pour ces raisons, il nous semble qu’en aucun cas une stratégie dite de spécialisation intelligente ne peut répondre aux exigences de réponse aux besoins, de développement industriel, de création d’emplois. Pour construire une Europe de la proximité, l’utilisation des fonds européens doit s’articuler avec une stratégie régionale volontariste de réponse aux besoins économiques, sociaux et environnementaux des territoires et des populations, dans un développement équilibré des filières et des territoires.
C’est pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec l’idée selon laquelle « une refondation des politiques régionales au service de l’innovation » serait nécessaire, mais bien que les politiques régionales de l’innovation, dont l’utilité et la pertinence ne sont pas ici contestées, doivent s’articuler avec une stratégie industrielle multidimensionnelle volontariste. L’urgence pour la CGT n’est pas de créer des « grands champions » mondiaux, mais bien d’irriguer tout le potentiel industriel et tous les territoires rhônalpins.
Pour toutes ces raisons, et au vu de l’enjeu de taille qui nous est posé aujourd’hui, nous alertons l’assemblée sur le fait que deux réunions ne sont pas suffisantes pour s’approprier les tenants et les aboutissants de la gestion de ces fonds européens, et il nous semble que l’avis contient des contradictions importantes entre proximité et concentration et entre la seule innovation et la création de richesse. Il est de la responsabilité du CESER de lever celles-ci. C’est pourquoi nous demandons que cet avis ne soit pas soumis au vote en l’état aujourd’hui et soit retravaillé.
Nous ne pouvons en effet voter un avis totalement déséquilibré avec celui de notre assemblée lors de la plénière consacrée à la stratégie régionale de développement économique 2010 – 2015. Un avis qui réaffirmait le développement harmonieux et équilibré de l’ensemble des filières, de l’ensemble des territoires.
Dans le cas contraire, le groupe CGT ne prendra pas part au vote.
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article981