Hommage à Ambroise Croizat par Guy Fisher, sénateur communiste du Rhône
Je me félicite, avec vous toutes et vous tous, de cette initiative qui contribue à garder vivants le souvenir et l’œuvre de l’un de nos très grands ministres de la Libération, Ambroise Croizat. Des années durant, j’ai habité Bd Ambroise Croizat à Vénissieux, preuve s’il en était besoin que nos villes ont su mettre à l’honneur ceux qui ont contribué à façonner le monde meilleur qui était au cœur de l’œuvre du Conseil National de la Résistance.
Avec le temps qui passe, sans compter le travestissement trop fréquent de certains événements historiques, nous avons plus besoin que jamais de ce genre de repères pour se souvenir.
Je voudrais, en guise de contribution, d’hommage, vous faire part, en quelques minutes de mon ressenti de parlementaire communiste qui a œuvré pour défendre les réformes majeures que notre nation tout entière lui doit.
Souvent, durant d’interminables séances de nuit, au Sénat, lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, je me prenais à penser à Ambroise Croizat. A ce communiste visionnaire, ministre du travail et de la sécurité sociale en 1945, et aux membres du Conseil National de la Résistance, au programme de gouvernement qu’ils avaient si bien nommé « Les jours heureux ».
Avec mes collègues du groupe « Communiste, Républicain et Citoyen », nous nous disions souvent : « s’il voyait ça ! ». S’il voyait la mise en pièces organisée, systématique, de l’œuvre humaniste et progressiste du CNR dont il mit en œuvre le volet santé, travail, protection sociale….. S’il voyait brader le plus précieux de notre héritage ! S’il voyait porter atteinte au principal pilier de la Sécurité sociale selon lequel la solidarité est financée par les richesses créées dans l’entreprise, chacun cotisant selon ses moyens pour recevoir selon ses besoins !
Dans les travées de notre assemblée, forts de la conviction de devoir préserver ces acquis révolutionnaires, nous avons combattu la contre-réforme des retraites du gouvernement Fillon, nous avons combattu la casse de l’hôpital public, les franchises médicales et bien d’autres forfaits contre notre système de protection sociale solidaire. Car droite et patronat ont toujours eu une idée-fixe : le démantèlement de tous les acquis issus des grands mouvements sociaux de notre histoire, des Lumières à Mai 68, en passant par la Révolution française, le Front populaire, la Résistance. Et inutile de préciser que le mouvement s’est accéléré avec l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007.
Avec un cynisme sans pareil, ils n’ont eu de cesse d’œuvrer pour nous imposer le modèle anglo-saxon ou allemand, fiscaliser notre protection sociale, la privatiser insidieusement, faire de l’hôpital une entreprise, de la santé une marchandise. Pis encore, dernièrement, la commission européenne envisageait de faire adopter une directive prévoyant de soumettre certains besoins en santé aux procédures d’appels d’offres !
Aujourd’hui, si nous voulons revenir sur ce véritable recul de civilisation, il est urgent de remettre l’humain au cœur de notre société, dans le prolongement des « jours heureux » du CNR dont la modernité n’a pas pris une ride. Et puisqu’il faut toujours considérer le passé pour nourrir l’avenir, je laisserai le mot de la fin à deux hommes illustres qui furent tous deux parlementaires :
Ambroise, bien sûr, lorsque, tout juste devenu ministre, il déclarait, en novembre 1945 :
« Nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous en finirons avec les angoisses du lendemain. » (…) « Il n’y a pas de politique efficace sans l’accompagnement d’un peuple vigilant. Rien ne pourra se faire sans vous. Le changement n’est pas qu’une affaire de lois. Il réclame votre participation dans la rue, la cité, l’entreprise. »
Mais également le grand Victor Hugo, à la tribune de l’Assemblée, en 1849, à la place duquel j’ai l’honneur de siéger au Sénat – et le parallélisme des convictions ne vous échappera pas plus qu’à moi – :
« Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. (…) Les législateurs et les gouvernants doivent y penser sans cesse ; car en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli. (…) je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière (…) !« .
La modernité des convictions et de l’œuvre d’Ambroise Croizat ne réside-t-elle pas justement dans la tâche qu’il nous appartient de remettre sans cesse sur le métier ?
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article937