Hommage de Liliane Caillaud-Croizat – fille d’Ambroise Croizat
Je suis très heureuse d’être avec vous. Cette initiative sur Ambroise Croizat est très importante et me touche beaucoup. Et puis elle est hautement symbolique, puisque c’est ici à Lyon et dans ses environs que mon père a passé toute sa jeunesse, et s’y est formé pour devenir un militant qui va compter dans le mouvement ouvrier.
Mon père avec tous les camarades n’a rien inventé mais il a beaucoup lutté et fait beaucoup de choses. Il a essayé en permanence avec le syndicat CGT et le parti communiste, qui ont été très puissants à une époque, de faire en sorte que les travailleurs ne dépendent plus des patrons. Il ne voulait plus que les salariés malades, devenus handicapés ou les retraités deviennent des mendiants.
Il y avait autrefois des tas de sociétés et d’organismes qui soi-disant aidaient les gens. Mais ce n’est pas ce qu’il voulait. Il voulait simplement que chacun ait son dû. Il voulait plus de justice sociale, et pour chacun des travailleurs une protection de la naissance à la mort. Car c’est le travailleur qui créé les richesses. Il a bien le droit en retour de bénéficier d’un droit à la santé et a la retraite.
Pour y arriver il a œuvré jusqu’au bout sur les comités d’entreprise, la sécurité sociale et tout un arsenal de lois sociales. Il a travaillé et lutté tant qu’il a pu parce que malheureusement, il y avait beaucoup de difficultés, d’opposition et c’était loin d’être facile.
Il voulait absolument obtenir des choses. Je me souviens qu’un jour on lui a demandé de repousser sa loi de six mois. Mon père a alors répondu : « c’est tout de suite que les français en ont besoin, pas dans six mois ».
Bien sûr tout cela s’est fait grâce au Conseil National de la Résistance et a son programme. C’est comme cela qu’a été décidé entre autre, la sécurité sociale, les comités d’entreprise, le statut des fonctionnaires et tout un tas de choses. Toutes ces choses qui effectivement ont été faites à cette époque et qui ont apporté beaucoup. Elles sont tellement importantes que l’on a eu le plaisir d’entendre dernièrement le président SARKOZY nous expliquer que la France a bien résisté à la récession grâce à sa protection sociale. Entendre ça, moi, ça m’a un peu énervée, c’est vrai.
Pour le reste c’était un père merveilleux. Mon plus grand chagrin c’est de l’avoir perdu trop tôt. Mais il m’a quand même beaucoup apporté. Il m’a donné des idées. Il n’a pas cherché à me politiser, non, ce n’est pas ça. Mais il m’expliquait beaucoup de choses. Il m’expliquait la vie, ce qui se passait dans le monde. Il m’a beaucoup manqué.
J’ai vécu de grandes expériences. Il a été arrêté en 1939. J’avais 3 ans. Ce fut un énorme vide. Avec ma mère on va attendre 3 ans, puis en 1942 on devra partir sur les routes. D’abord à Beaumes de Venise dans le Vaucluse. Là il y a eu un ordre d’arrestation. Nous n’étions pas chez nous ce matin là. Comme on nous a prévenues on a pu partir dans la journée, ma mère à pieds et moi déguisée sur un vélo. Nous sommes allés à Carpentras chez des gens qui nous ont hébergés et on a fini à Gigondas.
Les résistants ont été extraordinaires. Ils nous ont aidé jusqu’au bout et on leur doit la vie. Mon père on va le retrouver par hasard. Nous étions à Gigondas. Nous ne savions pas ou il était. Mais des copains de la résistance décident d’emmener maman à Marseille. Là-bas il y avait le siège local du parti communiste. Elle va y rester et le hasard voudra que d’un coup mon père va débarquer.
C’est le hasard parce que papa ne savait pas ou nous étions. Il n’avait pas d’adresse. Nous n’avions plus de nouvelles et dans la résistance tout était cloisonné.
Il a été libéré en Algérie en février 1943. Il ne reviendra à Paris qu’en août 44. Il ne savait pas où était sa famille. Il participait à des réunions publiques et c’est à cette occasion, qu’un jour, une camarade vient lui dire : « je sais ou sont ta femme et ta fille ».
C’est comme cela qu’il est arrivé le lendemain à Marseille. Il avait demandé l’autorisation au gouvernement provisoire de venir retrouver sa femme et d’aller me chercher à Gigondas. J’avais 8 ans. Cela faisait 5 ans que nous ne nous étions pas revus.
A partir de ce jour je reconnais que je ne l’ai plus lâché. J’étais même un peu collante mais après tout ce n’est pas bien grave.
Voilà. C’est tout. Ne perdez pas courage dans votre combat. On y arrivera un jour. Il faut lutter. On en est tous là et moi-même à mon âge, je suis toujours dans le mouvement. Alors il n’y a pas de raisons de renoncer.
Beaucoup de nos opposants auraient bien aimé que mon père tombe dans les oubliettes de l’Histoire. Mais grâce à tous ceux qui se sont investis dans l’initiative d’aujourd’hui, très réussie, cela rend d’autant plus compliqué cette opération d’occultation.
Je les remercie du plus profond de mon cœur, ainsi que vous tous pour votre présence.
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article936