En prenant pour thème les modes de vies en Auvergne – Rhône-Alpes en 2050, la section Prospective savait qu’elle abordait un concept complexe, même si elle pouvait trouver quelques appuis et amorces de pistes dans ses travaux antérieurs.
Un thème structurant, l’anthropologue Maurice Godelier a souligné que “Les Hommes, contrairement aux autres animaux sociaux, ne se contentent pas de vivre en société, ils produisent de la société pour vivre. Ils fabriquent de l’histoire, l’Histoire”. Et si on croit à la possibilité d’échapper à un avenir qui ne serait que l’extrapolation des tendances actuelles. Avenir qui nous amènerait à douter de la possibilité de continuer :
– à vivre encore “ensemble“, avec la montée des inégalités sociales dont rend compte, par exemple, années après années, les rapports d’Oxfam. Inégalités qui atteignent des niveaux telles que les multiples formes de domination en place, qu’elles prennent appui sur le diplôme, le rôle social, le genre ou l’apparence ne sauraient maintenir durablement. Pas plus que les diverses formes de coercition. On ne peut maintenir un couvercle pénal sur un chaudron social, comme le souligne Loïc Wacquant, en évoquant la dernière vague de révoltes urbaines en France. Et quand toutes les relations humaines sont sommées de s’organiser selon le seul principe des “eaux glacées du calcul égoïste“.
– et même à “vivre” tout court, en raison des conséquences prévisibles de l’emballement du réchauffement climatique, de la perte de la biodiversité et de l’épuisement des ressources naturelles.
Comme indiqué en conclusion du rapport, “nos scénarios ne se réaliseront pas, nous le savons, la prospective n’est pas la prévision”. Le produire aura nécessité que tous les membres de la section adhèrent à l’illusio de la prospective, c’est-à-dire acceptent de rentrer dans le jeu, s’y investissent pleinement et le prennent au sérieux. Un engagement que favorise l’objectif de la prospective, la construction de scénarios du possible, qui permet de laisser de côté la recherche du consensus et de passer outre l’injonction thatchérienne du “There is no alternative“.
Pour ces raisons, il est aussi indiqué que “le rendu se présente comme un mélange où les auteurs,[ et plus encore les lecteurs], trouveront, à part égale, satisfaction et insatisfaction, contentements et regrets”. Car il convient de prendre les quatre scénarios présentés seulement comme quelques cas particuliers du possible. Et imaginer les multiples réagencements possibles, à partir des hypothèses que nous avons retenu et, plus encore, de toutes celles que nous avons oublié. Pas un produit fini donc, mais un matériau encore brut mis à disposition, en laissant au débat démocratique le soin d’en écarter certains bouts ou d’en faire prospérer d’autres.
Syndicalisme de transformation sociale, notre affinité va aux scénarios plus régulés, reposant sur une approche plus collective, en ce qu’ils sont :
– imprégnés par ce qu’Alain Suppiot a identifié comme l’esprit de Philadelphie, la réaffirmation, en mai 1944, du bien-fondé de la déclaration contenue dans la Constitution de l’Organisation Internationale du Travail : Une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale.
– imprégnés du principe du Commun, au sens de Pierre Dardot et Christian Laval, c’est-à-dire de faire le choix collectivement de s’interdire de s’approprier une ressource, qu’elle soit matérielle ou immatérielle, qu’elle soit naturelle ou issue de la connaissance, pour mieux l’approprier à sa destination sociale, par exemple la terre aux besoins de nourriture.
Le rapport affirme que «tout est ouvert :
– Soit pour choisir de vivre ces prochaines décennies la fin d’un monde obsolète qui n’en finit pas de mourir.
– Soit de participer à la création d’un monde nouveau et plus durable.
Tout est ouvert, mais écrire cette nouvelle page de l’Histoire, faire advenir cette seconde perspective nécessitera de se confronter à tous ceux qui ont intérêt à ce que le monde perdure tel qu’il est. Et en étant attentif, dans cet entre-deux, dans cette phase de clair-obscur, à tous les monstres qui pourraient surgir, pour reprendre une citation connue d’Antonio Gramsci.
Pour terminer cette déclaration, nous souhaitons adresser un vif remerciement à notre Président avec un nouvel emprunt à Alain SUPPIOT. Merci donc à Jean-Pierre d’avoir su “pratiquer l’art du jardinier, fait d’attention aux conditions d’éclosion du génie propre à chaque plante, et non l’art du berger maniant le bâton pour conduire son troupeau“. Merci également à Laurent pour avoir su être, au-delà de la mémoire du groupe, le “gardien des horloges” quand nos échanges s’éloignaient un peu trop du sujet et un participant discret, mais avisé.