L’ADEES AURA a créé et tenu à jour une base de données sur les entreprises industrielles ayant bénéficié du plan de relance dans notre région. Le site Internet du Comité régional permet un accès à ces données, par départements ou par professions (cliquer pour accéder au dossier complet).
Ce qui est proposé ici est un premier bilan de ces mesures, en essayant d » s’y retrouver dans la complexité des informations officielles.
1. Etat des lieux officiel à fin juillet 2021
De source gouvernementale (Lettre d’information SEER, 17 septembre 2021), à fin juillet, on compte dans notre région 305 lauréats aux appels à projet industrie pour 1,39 Mds€ d’investissements et 517,2 M€ d’aide de l’Etat (seul l’AAP Projets territoriaux est cofinancé pour partie avec le Conseil régional), soit 22,1% du montant total des aides de France Relance alloué au niveau national.
Il est assez difficile d’avoir un bilan précis car plusieurs de ces mesures s’emboîtent les unes dans les autres. Par ailleurs, d’autres mesures spécifiques sont parfois incluses dans le bilan officiel et parfois non !
Mesures spécifiques sur la numérisation des entreprises :
Le 30 mars 2021 un premier appel à projet a été lancé pour aider la transition numérique des PME/TPE. C’est une action collective s’adressant à des groupements d’opérateurs du numérique. 3 ont été retenus pour AURA. 3352 entreprises ont bénéficié de diagnostics gratuits ou d’une aide de 500 euros pour favoriser leur transition numérique.
Le Chèque France Num forfaitaire de 500 euros pour couvrir tout ou partie des dépenses pour la numérisation supportées par les entreprises de moins de onze salariés : Dans le cadre de ce plan France Num, antérieur à la crise sanitaire mais amplifié par le plan de relance, au 31 juillet 2021 le plan d’accompagnement du commerce de proximité a permis en Auvergne-Rhône-Alpes la délivrance de plus de 17 000 chèques de 500 euros à des entreprises du commerce et de l’artisanat.
Mesures spécifiques « Industrie du Futur » :
C’est sans doute une mesure similaire à celle-ci-dessus mais pour les entreprises industrielles. Ces milliers d’entreprises ne sont évidemment pas incluses dans les chiffres du tableau. Enfin, l’appellation est trompeuse par rapport à ce qui se prépare avec le nouveau plan, qui ne s’adresse évidemment pas aux mêmes entreprises.
Toujours selon la lettre du Service économique de l’Etat en Région, Auvergne-Rhône-Alpes est la 1ʳᵉ région pour le guichet Industrie du Futur, où elle représente près de 25% des 7 728 demandes enregistrées au niveau national, soit 2 346 dossiers. L’instruction de tous ces dossiers n’est pas terminée mais au 1er septembre, 1594 de ces demandes régionales ont fait l’objet d’une instruction favorable pour 515 M€ d’investissements représentant plus de 166 M€ d’aide. A noter au niveau national que 73% des 6 648 premiers bénéficiaires du guichet étaient des PME de moins de 50 salariés.
Le 6 septembre a été ouvert le dernier volet « Relance » d’Ambition Industrie du Futur dont la date de clôture est le 22 octobre 2021. Ce dispositif exceptionnel (car financé à 100 % à hauteur de 8 000 € maximum) pour soutenir l’accompagnement des entreprises industrielles ayant un projet de diversification, approvisionnement local ou relocalisation, est financé à parité par l’Etat (fonds PIA) et le Conseil régional. Cette aide s’adresse à des TPE, PME, ETI installées sur le territoire Auvergne-Rhône-Alpes réalisant des activités manufacturières. L’établissement de production devra être implanté sur le territoire régional. La Région Auvergne Rhône Alpes et l’Etat cofinancent les coûts de prestations de conseil, preuves de concepts, expertises études à 100% dans la limite de 8 000 euros.
Suite et/ou fin de ce plan de relance :
La plupart des « guichets » devraient rester ouverts jusqu’à la fin de l’année où l’on approchera globalement des 100 milliards annoncés.
Certaines actions devraient se poursuivre, tels les « Territoires d’industrie » pour lesquels le Premier ministre a annoncé (le 6 septembre) qu’une enveloppe de 150 millions d’euros allait être réinvestie.
2. Analyse quantitative des données recueillies par l’ADEES
Les derniers chiffres que nous avions retenus pour notre base de données (Dossier de presse : Déploiement de France Relance dans les territoires) indiquaient que, au 19 juillet 2021 et depuis 2020, 244 entreprises avaient bénéficié de 282,1 millions d’euros pour réaliser 959’8 millions d’euros d’investissements. 90 000 entreprises régionales ont bénéficié de réductions d’impôts de production de 1,3 milliards d’euros. 422 ont bénéficié de subventions pour favoriser leur accès à l’international (pour le détail des dossiers, voir la base de données sur le site du Comité régional Cgt, accessible par départements et par professions.
Une analyse de 185 dossiers ayant fait l’objet d’informations détaillées donne les résultats suivants :
Nombre de dossiers par activité / poids de l’activité en nombre d’emplois salariés (L’industrie en AURA, Conseil Régional, 2020) :
On constate donc une sur-représentation des activités classées dans les branches professionnelles des Métaux et de la Pharmacie, et une sous-représentation de la Chimie et surtout des IAA (pourtant classées dans les « secteurs critiques ») et du THC.
Répartition des dossiers selon les intentions exprimées par thèmes :
. Modernisation, numérisation : 150 (78,1%). Les déclarations s’échelonnent entre intention générale de « modernisation, numérisation, digitalisation… » et engagement précis d’investissements dans des équipements de dernière génération, voire dans des « technologies de rupture », ou « technologies différenciantes ». Si la modernisation des process concerne une centaine de dossiers, une cinquantaine évoque une innovation dans les produits.
. Extension, diversification : 67 (34,9%). 17 dossiers évoquent explicitement une diversification.
. Relocalisation : 32 (16,7%). De fait, l’appel d’offre entend par là le « soutien aux investissements stratégiques des secteurs critiques » et non une réelle relocalisation d’activité, évoquée par très peu d’entreprises. Pour la majorité, il s’agit de contribuer à « la réduction de la dépendance française et européenne ».
. Transition énergétique et environnementale : elle est évoquée par 57 entreprises (29,7%). 22 indiquent une réduction de l’impact de leurs produits, plus de la moitié une réduction de leur consommation d’énergie (chauffage biomasse, valorisation des déchets, économie circulaire…) et/ou de leurs émissions polluantes.
. Emploi : 59 dossiers (30,7%) seulement l’évoquent, le plus souvent en prévoyant de « consolider » ou « maintenir » les emplois existants, quelquefois pour en créer de nouveaux, à plus ou moins long terme (1985 de façon explicite)
. Travail : nous avons ajouté cette rubrique pour constater qu’elle n’est évoquée que par 18 entreprises (9,4%) : amélioration des conditions de travail (5 cas + une introduction du travail de nuit), « meilleure relation homme-machine » (1 cas) ; hygiène et sécurité (2 cas), élévation des compétences (9 cas), formation (5 cas), fidélisation et augmentation de l’attractivité pour faciliter les recrutements (4 cas). En fait, ces 18 entreprises s’intéressent aux questions de compétences, formation, attractivité pour le recrutement.
. Différenciation départementale :
comparaison nombre de dossiers / poids de chaque département dans l’emploi salarié industriel régional, soit 505 334 (L’industrie en Auvergne-Rhône-Alpes, Région AURA, décembre 2020) :
On constate donc une sur-représentation de l’Isère (filière électronique notamment) et de la Haute-Savoie (filières auto et aéro) et, dans une moindre mesure, de l’Ain (plasturgie) et de la Haute-Loire (plasturgie), et une sous-représentation de la Drôme, de la Loire, du Puy-de-Dôme, du Rhône et de la Savoie.
45 dossiers (23,4%) évoquent plus ou moins explicitement la dimension territoriale (« renforcement du bassin d’emploi »).
Les Métropoles de Lyon et Grenoble concentrent un certain nombre de dossiers importants, ce qui est moins le cas pour St-Etienne et Clermont-Ferrand.
La plupart des bassins d’emploi de la région sont concernés mais on constate une certaine concentration sur :
. La Plastic Vallée d’Oyonnax (01) : sur les 21 dossiers de l’Ain, plus de la moitié (11) concernent la plasturgie, dont une bonne partie pour les filières auto et aéro.
. La Vallée de l’Arve (74). Sur les 44 dossiers de la Haute-Savoie, près de la moitié 20) concernent le décolletage, essentiellement pour les filières auto et aéro.
Et dans une certaine mesure sur :
. Le bassin de Monistrol /Ste-Sigolène (43), pour les activités films et sacs plastiques notamment,
. Le bassin d’Issoire (63), pour les activités métalliques et mécaniques.
3. Essai d’évaluation qualitative
Au-delà des « effets d’aubaines », sans doute bien réels mais impossibles à évaluer, 78% des dossiers consacrés à des innovations en termes de process et/ou de produits témoigne d’une dynamique certaine, d’autant que nombre de ces entreprises disent vouloir se développer et/ou se diversifier.
Il en va de même, dans une moindre mesure, concernant la transition énergétique et environnementale (près de 30% des dossiers) et concernant le maintien ou le développement de l’emploi (30,7%).
L’effet relocalisation est peu au cœur des préoccupations (16,7%) et relève largement de l’effet d’annonce.
14 % des établissements industriels régionaux c’est peu, mais c’est beaucoup si ces entreprises sont « fers de lance » d’une évolution plus large, la question étant d’appréhender l’existence ou non d’un possible effet systémique. A contrario, quid des entreprises qui n’ont pas répondu aux appels d’offre ? Quid des activités peu bénéficiaires (IAA, THC) ?
Un des éléments de cette appréhension : repérer si ces entreprises participent aux dispositifs et programmes collectifs au niveau des filières industrielles, des structures de transfert recherche-industrie, etc., au niveau national (programme Industrie du Futur, qui a labellisé 8 « entreprises exemplaires » en AURA dont 6 relèvent du plan de relance), comme au niveau territorial (Territoires d’Industrie). Deux exemples : Quel lien des entreprises de plasturgie retenues avec le Pôle de Compétitivité Plastipolis, qui fait un énorme travail pour favoriser la modernisation, la transition et la diversification de ces activités ? Quel lien des entreprises de décolletage avec le Pôle de Compétitivité Mont-Blanc-Industrie ? Il a fusionné avec le pôle ViaMéca pour une évolution vers la mécatronique, il est en partenariat avec Plastipolis (rapprochement des savoir-faire en plasturgie et en mécanique par la technologie de l’impression 3D)…
De fait, la concentration du plan de relance sur les secteurs « stratégiques » s’inscrit largement dans la logique de « spécialisation intelligente ». De même, la « relocalisation » affichée consiste plutôt à soutenir quelques activités ciblées pour réduire, dans certains secteurs, une dépendance nationale que la pandémie a mise en lumière (santé, électronique…). Au niveau régional, cette concentration sélective entre en contradiction avec ce que la Région met encore en avant comme « atout pour faire face aux difficultés d’un secteur en particulier » : « la diversité de son tissu industriel » (L’industrie en Auvergne-Rhône-Alpes, décembre 2020, Région AURA).
Autre question à approfondir, le rapport de ces mesures à l’emploi et au travail. On l’a vu, les effets à attendre en termes d’emplois sont très limités et la question du travail n’est évoquée que par moins de 10 % des entreprises. C’est pourtant une question décisive : si l’on veut réussir la nécessaire évolution de l’industrie en réponses aux exigences sociétales et environnementales, les salariés, les organisations syndicales, doivent en être des acteurs incontournables. D’où la nécessité de demander des comptes à tous les niveaux (national, régional, départemental…), et en premier lieu à l’entreprise : suite à la démarche engagée par le Comité régional, plusieurs CSE ont adopté une attitude offensive face aux directions quant aux aides reçues, y compris pour questionner celles qui n’avaient pas monté de dossier de relance.
Le Comité de pilotage mis en place par le Comité régional Cgt poursuit sa réflexion sur ces questions et sur la façon d’en faciliter au mieux l’appropriation syndicale.
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1631