Les caractéristiques très particulières de ce territoire en ont fait ce que les économistes appellent un « district industriel », comme il en existait dans l’Italie du Nord ou dans la Vallée de l’Arve (décolletage) :
. Une osmose travail paysan / travail ouvrier : dès le XVIIIème siècle, dans cette vallée enclavée l’hiver, les paysans ont fabriqué des peignes et ornements de coiffure pour se constituer un complément de revenu. D’abord en buis, puis en ergot et corne de bœuf.
Aux XIX et XXème siècles une industrie se développe avec l’arrivée de différentes matières plastiques : celluloïd (jouets pour enfants, peignes, fleurs artificielles assemblées en famille…), galalithe en 1918, rhodoïd en 1930, puis polystyrène et autres nouveaux polymères… L’activité industrielle se détache du travail paysan et se spécialise. De nombreuses petites entreprises sont créées. Elles restent marquées par leur origine paysanne, notamment à travers l’articulation coopération / concurrence. Comme dans l’agriculture, on est concurrent mais on s’entraide en cas de souci (comme pour le fauchage quand l’orage menace)
- Modèles de peignes créés pour des entreprises d’Oyonnax, Anna Perrat, années 1920-1930
. Une osmose travail salarié / entrepreneuriat : les ouvriers professionnels (moulistes notamment) ont des compétences qui se « vendent » cher sur le marché du travail. Ils travaillent beaucoup, dans la perspective de devenir un jour eux aussi patrons, ce qui se produit souvent dans les années 50. Ce fonctionnement est la base de la flexibilité du système (réponses rapides aux marchés et donneurs d’ordre). Mais cela tire les mentalités vers l’individualisme et le paternalisme et ne facilite pas l’implantation et l’activité syndicales.
. Un système d’entreprises souvent petites et moyennes avec des activités concurrentes et complémentaires, soit avec accès direct aux marchés (lunetterie, articles ménagers, jeux et jouets, meubles de jardin…), soit en sous-traitance (produits pour l’automobile, le médical, la pharmacie, etc.).
. Quelques entreprises grossissent et deviennent motrices pour la Plastics Vallée, qui s’impose comme le premier territoire de la plasturgie française.
Une crise de l’industrie qui tire toute l’activité à la baisse
. Un éclatement du « district » et une perte d’influence du territoire
. Peu à peu les entreprises les plus importantes passent sous domination de capitaux français mais aussi étrangers et entrent dans une logique plus financière qu’industrielle.
. La plasturgie essaime un peu partout et d’autres bassins d’emploi en France se développent, même si la Plastics Vallée représente encore 10 à 12% de la plasturgie française (40% de celle de Rhône-Alpes).
. Le territoire s’est endormi sur ses lauriers face aux innovations dont d’autres zones ont su se saisir (exemple Pays de Loire pour les composites)
. Un bassin en difficulté, pas seulement au niveau industriel
Sur la zone d’emploi du Haut-Bugey, l’emploi avait augmenté entre 1975 et 1990 mais a fortement fléchi ensuite, notamment depuis la crise de 2008. C’est particulièrement le cas pour la zone d’Oyonnax où l’industrie a perdu d’un coup 500 emplois en 2008-2009.
Entre 1998 et 2014, l’industrie a perdu près de 5000 emplois, comme l’emploi total (-4772).
- (Insee Rhône-Alpes, La Lettre n°163, février 2012)
Selon Pôle Emploi, en janvier 2017, le bassin d’Oyonnax compte 8509 salariés dans l’industrie (encore une diminution !), 2215 dans le commerce, 1900 dans la santé et les services administratifs, 834 dans la construction, 784 dans les activités scientifiques, 724 dans le transport et logistique…
C’est le recul de l’industrie, et notamment de la plasturgie, qui plombe le développement du bassin d’Oyonnax : la population totale de la zone d’emploi est en recul (22 485 habitants en 2014, perte de 1,74% depuis 2009). Même le tertiaire marchand a reculé entre 1998 et 2014, seuls les services publics se maintiennent, mais pour combien de temps ?
Une nécessaire reconquête industrielle pour un développement humain durable
Il est urgent d’amorcer une reconquête industrielle et la nécessaire transformation de l’industrie pour répondre aux exigences économiques, sociales et environnementales (Développement humain durable) ouvre des opportunités pour réenclencher une dynamique
. Un potentiel productif encore important :
La plasturgie représente encore 22% des salariés du bassin, 53% des salariés de l’industrie et 3 établissements industriels sur 5, avec 660 entreprises et 14 parcs industriels dans la vallée.
Des compétences sur toute la filière : fabrication de moules, fabrication de machines (Billion), design et conception, techniques de production variées, décoration, commercialisation…
. Un potentiel d’innovation sous-utilisé :
Le Pôle européen de la plasturgie est devenu Centre technique industriel de la plasturgie et des composites en 2016 : il permet aux entreprises de trouver une aide pour choisir les procédés adaptés et adopter de nouveaux procédés (impression 3D, écoconception, recyclage…). Il abrite une antenne de l’école d’ingénieurs INSA de Lyon. Il travaille aussi avec le Lycée Arbez Carme qui offre plusieurs formations dans la plasturgie au sens large.
Le pôle de compétitivité Plastipolis développe une activité de soutien à l’innovation pour les entreprises et structure des projets de recherche collaborative sur les principaux domaines de la filière.
Problème : seulement environ 20% des entreprises du bassin utilisent ces outils. Les syndicalistes CGT de plusieurs entreprises soulignent la faiblesse du budget développement et la sous-traitance de cette activité à l’étranger. Plusieurs entreprises utilisent les ressources locales d’innovation et de recherche pour industrialiser ailleurs les nouveaux produits.
. Les projets du pôle Plastipolis permettent d’identifier les évolutions actuelles et futures de la plasturgie :
En termes de matières premières et de matériaux : matériaux biosourcés, biopolymères, polymères multifonctionnels, autoréparants, autoadaptatifs, intégrant des conducteurs électriques, des dispositifs électroniques…
En termes de produits et d’applications : débimètre communicant pour la délivrance de médicament, démonstrateurs pour applications dans la santé, la connectique, les fluides, contenants allégés pour l’agroalimentaire, l’automobile…
En termes de procédés : fabrication additive, extrusion refroidie à l’eau, muti-extrusion, rotomoulage robotisé… procédés permettant de diminuer les étapes d’assemblage ou de décoration… nombreux projets concernant l’amélioration des moules (refroidissement rapide, pièces complexes)…
Révolution numérique : Menace ou opportunité ?
. La « révolution numérique » peut avoir des effets majeurs sur l’emploi (10% des emplois menacés ?), sur les conditions de travail (accentuation des effets du lean manufacturing, de la domination des indicateurs chiffrés, perte d’intérêt d’un travail de plus en plus standardisé) et sur les compétences (50% des métiers concernés par des transformations ?).
Plusieurs entreprises du bassin utilisent déjà la « fabrication additive », leurs bureaux d’études se servant d’imprimantes 3D pour réaliser des prototypes, des modèles, étudier l’industrialisation de nouveaux produits. Mais ce genre d’outil peut également être utile pour les particuliers (remplacement d’une pièce cassée) et des services collectifs peuvent se développer à cet effet.
. Elle accentue la mise en concurrence entre les entreprises, les territoires, les salariés, et entre les salariés et les travailleurs « indépendants » : pour une tâche donnée, une entreprise peut trouver le moins-disant en prospectant par internet sur un vaste périmètre géographique… L’ubérisation casse les métiers existants et les liens de solidarité qui y fonctionnaient, en faisant échapper ces activités aux règles sociales et à l’impôt.
. En concernant de plus en plus d’activités, et pas seulement industrielles, elle appelle à renforcer les solidarités entre salariés de l’industrie et des services, entre salariés du privé et du public…
. Commerce : Chez Carrefour Market on est passé au e-learning : 3mn sur un ordinateur avec une formatrice individuelle, puis retour au poste ! Avec les systèmes de caisse automatique, c’est le client qui fait le travail. Aujourd’hui, une plateforme a été mise en place pour recevoir les commandes et les faire livrer aux magasins.
. Hôpital : un charriot guidé s’arrête devant chaque chambre avec les fournitures nécessaires aux soignants.
. Services publics : On impose aux gens d’avoir chez eux un ordinateur, une imprimante, un scanner. Faire sa déclaration d’impôt en ligne, sinon c’est plus cher. L’information doit être considérée comme un droit, comme l’eau et l’électricité.
Dans les services publics, la numérisation peut libérer du temps, ce temps gagné ne doit pas se traduire par des suppressions d’emploi mais dans davantage de contacts humains, pour faire du bon travail au service des usagers. Exemple à Pôle emploi, passer plus de temps avec les demandeurs d’emploi (au lieu de ¼ d’heure aujourd’hui).
Le travail au cœur des problèmes et des solutions
La difficulté pour les entreprises de recruter et surtout de fidéliser la main-d’œuvre est due essentiellement aux mauvaises conditions de travail et aux bas salaires. Les jeunes se détournent de ces activités et des formations proposées (par le Lycée notamment).
Plus que jamais il est nécessaire de revaloriser la place du travail, en s’appuyant sur l’aspiration des salariés à bien faire leur travail et à voir leurs compétences reconnues. La révolution numérique va encore accentuer la contradiction entre simplification des tâches (avec raccourcissement des formations) et affirmation d’un besoin de compétences plus transversales, « d’intelligence collective », à faire reconnaître dans les grilles de classification, en termes de salaires (souvent très faibles dans la plasturgie, même pour des techniciens et ingénieurs) et d’évolution de carrière.
La question des formations et du plan de formation est au centre des évolutions en cours et à venir des métiers, du travail et des emplois, que les salariés doivent pouvoir anticiper. Aujourd’hui, le patronat privilégie l’apprentissage et les CQP (certificats de qualification professionnelle) aux dépens des formations diplômantes de l’Education nationale. Si un CQP peut sembler plus facilement accessible à certains salariés, il faudrait qu’il soit davantage reconnu dans les grilles de classification ; c’est ce que réclame la CGT et ce que refuse le patronat.
Répondre aux exigences du développement durable ne peut se faire sans redonner toute sa valeur au travail bien fait : c’est le salarié à son poste qui peut le mieux régler les problèmes de pollution, de gaspillage de matière ou d’énergie, pas le comptable de l’entreprise. Seules de meilleures conditions de travail permettront de passer de la « réparation » à la « prévention ».
Ces exigences sont à lier aux revendications en termes de démocratie sociale, dans l’entreprise (expression des salariés sur les finalités de leur travail et de la production) comme sur le territoire.
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1335