Du 30 octobre au 4 novembre, une délégation de la Cgt Rhône Alpes, composée d’Agnès Naton, secrétaire régionale et de JJ Guigon, animateur du secteur international, s’est rendu au Liban à l’invitation de la Fenasol
Jean-Jacques : Bonjour Marie, merci d’avoir accepter cette interview de la CGT.
Depuis que l’Union des Travailleuses Domestiques a été créée au sein de la FENASOL vous avez fait bouger les lignes et vous n’êtes plus « invisibles », vous avez en partie brisé le plafond de verre.
Mais avant parler de l’Union, si tu le veux bien, parle nous tout d’abord un peu de toi…
Marie : Bonjour. Je suis au Liban depuis 20 ans, et 20 ans dans la même maison. Les cinq premiers mois furent très durs car j’ai été enfermée. Mais maintenant je suis bien, j’ai de plus en plus de liberté.
Jean-Jacques : Enfermée ?
Marie : Oui, sortir de la maison c’est un sujet tabou pour bon nombre de travailleuses domestiques, mais plus pour moi, même si je sors très peu pour des questions de sécurité. Ne pas sortir, cela me protège. J’ai conscience que c’est dur à comprendre, mais lorsque j’entends le témoignage de mes amies, j’ai peur !
Jean-Jacques : Tu veux dire que sans droits, parfois sans papier vous êtes des proies ?
Marie : Malheureusement oui, les agressions sont fréquentes… Agressions sexuelles dans les taxis… C’est dur…
Jean-Jacques : Tu disais juste précédemment que maintenant tu es bien, peux-tu préciser, concrétiser un peu ce que tu veux dire par là ?
Marie : Depuis que je milite à l’Union des Travailleuses domestiques de la FENASOL, j’ose !
J’ose parler, j’ose demander, j’ose revendiquer, et cela marche ! Pas de grandes choses, mais j’obtiens des avancées et un peu de mieux vivre au travail. C’est tellement important.
Ne pas revendiquer c’est ne pas obtenir. Désormais je demande et je gagne en liberté !
Il est vrai aussi que j’ai une bonne employeuse, ce qui n’est pas les cas et loin sans faut pour toutes mes camarades.
Jean-Jacques : Bonne patronne jusqu’à quel point ?
Marie : Lorsque je suis malade, elle me fait soigner et rien ne l’oblige.
Jean-Jacques : Tu es Marie d’origine malgache, qu’est-ce qui t’as poussée à faire le saut entre ta grande île et le Liban ?
Marie : la pauvreté bien sûr, maman avait une petite entreprise familiale, mais pas avec des rentrées d’argent suffisantes pour pouvoir faire vivre décemment la famille, et puis j’étais sans nouvelle de ma sœur depuis longtemps, elle était au Liban et j’étais morte d’inquiétude.
Jean-Jacques : Et alors ?
Marie : Je l’ai cherchée et je l’ai trouvée ! Bien sûr avec l’aide de mon employeuse. Mais je retournerai au pays… Un jour.
Jean-Jacques : Etre travailleuse domestique, être amoureuse, devenir maman, ce doit être compliquée pour beaucoup d’entre vous.
Marie : Bien sûr ! Et compliqué est un euphémisme, on peut presque dire impossible !
Etre enceinte c’est aller accoucher au pays, puis revenir au Liban… sans son enfant. Nous vivons souvent chez nos patrons, au service de nos patrons, alors s’occuper de notre enfant…
Jean-Jacques : Et ta première rencontre avec la FENASOL…
Marie : Comme pour beaucoup, grâce à un SMS envoyé par une amie.
J’ai dit oui tout de suite pour m’investir dans le syndicat. Du fonds de mon cœur j’aime aider, et pour les travailleuses domestiques exploitées au Liban il y a du travail !
En 2015 avec l’aide du Président de la FENASOL nous avons tenu notre congrès fondateur, un grand moment et le début d’une belle aventure militante.
Jean-Jacques : Une belle aventure mais pleine d’obstacles je suppose.
Marie : Oh oui ! Tu sais bon nombre de filles ne sortent de chez leur employeur qu’une fois par mois alors elles préfèrent souvent aller faire du shopping ou aller à l’église plutôt que venir se former le dimanche à la FENASOL, et il faut les comprendre.
Et puis les adhésions à l’Union il faut aller les chercher une à une, parmi des travailleuses aux mille langues étrangères !
Mais bon, on y arrive petit à petit, et maintenant on parle de nous, on manifeste, on a des T shirt « Convention 189 ». On va participer au Marathon de Beyrouth cette année encore. Bref on est visible, on existe et c’est déjà une sacrée victoire !
Jean-Jacques : Une des dernières victoires à votre actif ?
Marie : Elle va te paraître insignifiante !
Avant les employeurs venaient nous chercher à l’aéroport et nous menaient directement chez eux. Maintenant nous sortons librement de l’aéroport comme tous les passagers et l’on se rend librement en taxi chez eux.
Nous rentrons ainsi… librement dans la cage (sourire). Une victoire sur la dignité, notre victoire !
Jean-Jacques : Combien de travailleuses domestiques sont aujourd’hui syndiqués ?
Marie : Le terme « syndiqué » n’est pas tout à fait approprié, tu le sais rien n’est jamais simple au Liban. La plupart des étrangers n’ont pas le droit d’être syndiqués, et dans le « la plupart », il y a les travailleuses domestiques…
Mais pour répondre précisément à ta question, nous sommes à peu près 500.
500 petites victoires gagnées une à une. C’est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup parce que notre Union est jeune et les conditions pour militer tu l’as compris sont difficiles, mais c’est également peu car au Liban il y a plus de 250.000 travailleuses domestiques ! Nous avons une sacré marge de progression !
Nous nous organisons par langues et par pays. A la FENASOL nous militons en trilinguisme, anglais, français et arabe, on couvre ainsi l’essentiel.
Jean-Jacques : Vous avez obtenu des droits, peux-tu me donner s’il te plait quelques exemples ?
Marie : Il faut d’abord bien avoir à l’esprit que nos conditions de travail dépendent encore bien davantage du bon vouloir de « Madame » que de la loi.
Par exemple le congé est (en principe) un droit, pouvoir sortir de la maison n’en est pas un !
En principe nous ne devrions pas travailler plus de 10 heures par jour, en principe nous ne devrions pas travailler plus de 6 jours sur 7, en principe nous avons droit à 8 heures de repos d’affilés…
Je profite personnellement de tout cela car comme je te l’ai dit tout à l’heure, « maintenant je suis bien ». Mais c’est loin d’être une généralité !
Lors de votre mission CGT Rhône-Alpes à Beyrouth vous avez souvent parlé des lois Macron et des attaques contre votre Code du Travail. Et bien nous travailleuses domestiques nous sommes exclues du Code du travail libanais… Notre employeur peut rompre le « contrat » quand il veut, et comme il veut.
Jean-Jacques : En cas de maltraitance, pouvez-vous porter plainte ? Quels sont vos recours ?
Marie : Pas de papier, pas de dépôt de plainte possible. C’est la règle pour beaucoup de travailleuses domestiques.
Un exemple pour illustrer le propos : Depuis plus d’un an 80 ressortissantes éthiopiennes sont incarcérées dans le nord du pays (Tripoli) pour ne pas avoir de passeport, ce dernier leur ayant été retiré par leur patron. Elles se sont retrouvées à la rue après avoir fuit de mauvais traitements (isolement, privation de nourriture, maltraitances, viols,…). Dans ce cas (fréquent) pas de recours, pas de dépôt de plainte possible.
On comprend mieux ainsi le fait qu’en moyenne une travailleuse domestique meure toutes les semaines par suicide ou accident en tentant de fuir.
Jean-Jacques : Et concernant le salaire, il dépend de la loi, du patron ou d’accord entre le pays d’origine et le Liban ?
Marie : Pour faire simple il y a un salaire différent par pays. Une travailleuse provenant des Philippines par exemple est mieux « cotée » » donc mieux payée qu’une travailleuse domestique Africaine.
Il y a là une vraie et néfaste complicité entre gouvernements. Les jeunes femmes provenant des Philippines ont une bonne réputation chez les employeurs, elles peuvent appendre l’anglais aux enfants, et en plus leur gouvernement a imposé au Liban un salaire minimum. Pour le même travail il y a donc d’importantes et profondément injustes différences salariales.
Jean-Jacques : Nous sommes déjà arrivés à la fin de cette interview.
Au nom de la CGT je voudrais te remercier beaucoup pour ton témoignage et ton éclairage sur vos conditions de travail et sur l’engagement de la FENASOL à vos côtés.
Si tu avais Marie un dernier à rajouter, ce serait…
Marie : SOLIDARITE !
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1383