Nous sommes en janvier 2017. Permettez-moi de commencer mon propos par un très bref retour en arrière. En janvier 2013, il y a juste 4 ans trois militantes kurdes ont été assassinées à Paris près de la gare du Nord. Elles se prénommaient Fidan, Leyla et Sakine.
Sakine née en Turquie, avait 21 ans en 1979 lorsqu’elle a séjourné dans les terribles geôles du pouvoir. Elle y connut d’abominables tortures et mutilations. Elle fut condamnée à 76 ans de prison avant d’être libérée en 1990. Elle reprit alors immédiatement le combat au service de ses idéaux. Sakine fut assassinée en plein Paris en janvier 2013.
Fidan née en Turquie avait 33 ans en ce même mois de janvier 2013. Elle vécu un temps à Lyon. C’est elle qui mit en place la « Coordination Nationale Solidarité Kurdistan ». Fidan fut assassinée en plein Paris en janvier 2013.
Leyla militante dans les mouvements de jeunesse kurdes a été fauchée au printemps de sa vie, elle avait 24 ans. Leyla fut assassinée en plein Paris en janvier 2013.
Voilà, je n’en dirais pas plus, ce n’est pas le sens de l’intervention que l’on m’a demandée, mais je tenais devant vous à rendre un hommage appuyé et mérité à ces trois femmes « courage », à ces trois femmes kurdes assassinées d’une balle dans la tête, un début de nuit dans un appartement parisien.
J’en viens maintenant plus directement à mon propos.
Comme cela a été dit précédemment, la Turquie s’enfonce chaque jour un peu plus dans la dictature, particulièrement depuis le « coup d’Etat » manqué du 15 juillet dernier : plus de 110.000 personnes ont été limogées, des dizaines de milliers de personnes arrêtées, emprisonnées, et parfois torturées. Plus de justice, plus de presse libre… Un peuple désinformé, manipulé dans un climat de terreur et d’impunité organisé par le pouvoir.
Quelle peut être une plus value syndicale, qu’elle peut être la plus value de la CGT dans une table ronde telle que celle-ci… ?
Les militants, les syndicalistes, les sympathisants particulièrement ceux de la DISK (Confédération Syndicale Révolutionnaire de Turquie), ou du KESK (Confédération des Syndicats des Travailleurs des Secteurs Publics), pas plus que d’autres démocrates, mais tout autant sont, par leurs convictions et par leur altruisme, souvent rebelles et vent debout face aux briseurs de rêves, de démocratie et de vie.
Par exemple, 12.000 militants de la DISK se sont spontanément portés volontaires pour se rendre à Kobané, ce n’est pas rien. Et cette même DISK milite au quotidien avec bon nombre de mouvements sociaux, estudiantins, féministes ou écologistes. Elle se met ainsi pleinement à la disposition des populations pour les indispensables combats à mener.
Ceci étant, syndicalistes ou pas, qui n’est pas aujourd’hui exactement dans les pas d’Erdogan est clairement menacé, prend clairement le risque d’être licencié, tabassé, emprisonné sans jugement, et trop souvent bien pire encore.
Par leurs écrits, leur contestation de l’oppression, leurs appels à la grève ou leur participation courageuse à des manifestations, ils et elles sont de petites pierres aiguisées dans la chaussure noire du dictateur et de ses valets. Et notre CGT tant de Grenoble que de Paris est tout naturellement solidaire de leur juste combat. Je rappelle ici en une phrase que par exemple le droit de grève n’est pas reconnue pour les fonctionnaires alors que la Turquie est signataire du Traité de l’OIT dans lequel le droit de grève est on ne peut plus clairement inscrit. Ils et elles subissent donc au quotidien une terrible répression.
En disant cela, je pense naturellement et comme vous, plus particulièrement aux 48500 enseignants licenciés, aux 22.000 policiers, aux 34.000 personnels de santé, je pense aussi aux magistrats et aux journalistes. Loin d’être les seules, ces professions sont cependant plus que d’autres encore dans le viseur du pouvoir. Les confédérations syndicales françaises, toutes les confédérations syndicales françaises se sont rencontrées fin 2016. Elles ont protestées solennellement et unitairement en un courrier envoyé à l’Ambassadeur de Turquie en France, et ont ensemble interpellé le Ministre des Affaires Etrangères français Jean-Marc Eyrault sur les évidentes violations des droits internationaux perpétrées par le régime d’Erdogan.
Cette multitude de professions plus encore victimes que les autres que je viens de citer, est évidemment au cœur de la cible, mais pour faire bref je vais ne prendre en témoignage que la dernière citée, le journalisme.
Ce choix certes subjectif ne doit cependant rien au hasard :
Des milliers de journalistes licenciés
148 emprisonnés, sans doute beaucoup plus
777 cartes de presse confisquées
158 organes de presse fermés
28 chaînes de télévision réduites au silence
32 radios qui ont subi le même sort
Tout comme 75 journaux et magazines
Et bien sur parmi ces licenciés, ces emprisonnés il y a, il y avait de la vie syndicale, il y avait de l’activité, du courage, de l’abnégation et de la détermination syndicale.
Ils et elles se battaient et arrivent encore se battre pour certains, avec leurs voix ou leurs plumes, leur déontologie et leurs convictions. Ils et elles se battaient, et se battent encore autrement pour faire perdurer, pour faire vivre expression de la vérité et liberté. Vérité et liberté aujourd’hui bâillonnées.
Erdogan cynique et intelligent (ce n’est pas incompatible) a très vite et bien compris que la répression, que sa répression contre presse, radios et télévisions était bien l’un des indispensables piliers de la dictature qu’il instaure, qu’il distille en Turquie tel un poison mortifère.
De ce point de vue, nos camarades du SNJ CGT (Syndicat National des Journalistes) ont pris, il y a peu, l’initiative d’un courrier unitaire SNJ CGT donc, mais aussi SNJ et CFDT Journalistes, courrier envoyé à François Hollande. Courrier qui exprimait évidement colère, indignation et inquiétude. Parce que les journalistes et qui plus est les journalistes kurdes subissent au quotidien, foudres et éclairs du régime de l’AKP et de son dictateur en chef.
Ce n’est évidemment pas ici que je vais insister plus que nécessaire sur la main mise du pouvoir, les arrestations, et les poursuites de journalistes, vous les connaissez autant que moi. Je rappellerai simplement ici que nos camarades du SNJ CGT ont de très nombreuses fois dénoncé fermetures de titres, blocus de sites et de réseaux sociaux qui lentement transforment ce pays, la Turquie en un « no man’s land » pour la liberté d’informer, pour la libre expression.
Il y a peu le SNJ CGT a qualifié et toute la CGT avec lui, la Turquie de « plus grande prison de journalistes du monde », et nous exagérions à peine, la Turquie étant classée à la peu enviable 151ème place sur 180 concernant la liberté de la presse. Juste rappeler ici que la France est à la 45ème place… Pas spécialement de quoi être fière… Je referme la parenthèse.
La CGT donc ne cesse de solliciter, de demander, d’exiger que la France élève la voix contre cette chasse aux journalistes, cette chasse aux sorcières qui s’étend telle une marée noire chaque jour un peu plus.
Non seulement la France, non seulement François Hollande n’a pas élevé la voix, mais il n’a même pas murmuré un souffle de désapprobation, indigne représentant qu’il est de notre France des Lumières, de notre France de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Fort de ce silence officiel français (mais pas que), il est ainsi moins difficile pour Erdogan de maltraiter les journalistes pour me limiter à cette profession symbolique, et de traiter bon nombre d’entre eux encore plus violemment d’ennemis, et de terroristes. En disant à l’instant « mais pas que », je pensai particulièrement à cette récente et honteuse décision du Conseil de l’Europe de ne pas consacrer la moindre session pour examiner je cite les « manquements démocratiques en Turquie ». Et cette décision de ne rien faire et de ne rien dire est passée dans un silence étourdissant et insupportable.
Il n’y aura donc ni le moindre débat, ni la moindre interrogation sur la mise en place par exemple d’un referendum sous régime d’état d’urgence. Décidément les murs parlementaires strasbourgeois ne laissent passer aucun cri venant de Turquie. Ne laissent passer aucun cri de cette région du monde tout simplement parce que dans ce cynique jeu international que nous subissons, ce sont les replis nationalistes qui progressent le plus vite, et la situation stratégique de la Turquie sur la douloureuse question des migrants l’a rendue elle et sa politique incontournable. Donc Strasbourg ne dit rien, c’est à vomir… Mais cette digression m’a éloigné de ce que je disais sur les journalistes, j’y reviens donc.
Les journalistes sont aujourd’hui poursuivis pour espionnage, pour diffusion de propagandes, pour appartenance à des organisations terroristes.
Même les journalistes étrangers sont visés par les mêmes accusations Nous avons des exemples de journalistes internationaux, je pense à des britanniques qui ont été récemment refoulés « manu militari ».
Terroristes, le mot est lâché… C’est vous le savez le terme employé par Pierre Gattaz Président du MEDEF à l’encontre de la CGT. Erdogan, Gattaz même …vision du monde, restons modérés.
Mais en tous cas modérés ou pas, ils partagent tous deux la même haine pour celles et ceux qui luttent, qui contestent, qui proposent une autre société, une autre France, une autre Turquie, un Kurdistan ou un autre monde.
Bien sûr que le journalisme a été attaqué en différentes périodes de l’histoire de la Turquie, mais à ma connaissance, jamais à un tel niveau, jamais sur une telle échelle.
Les plus « en avant », les plus courageux, les plus militants, sont aujourd’hui emprisonnés voire assassinés. Les autres, ceux qui refusent simplement de ne pas être les obséquieuses marionnettes du pouvoir, de la ligne officielle et du mensonge risquent licenciements sans préavis ni ménagement, j’y ai fais allusion tout à l’heure, mais je tiens à le redire, c’est tellement grave…
La censure, la chape de plomb sont aujourd’hui les normes, et la moindre des voix critique prend le risque d’être stigmatisée, voire trop souvent définitivement éteinte.
Et les différents secteurs de la société civile qui se montre un tant soit peu solidaires des organisations syndicales, un tant soit peu solidaires des journalistes pour défendre la liberté de la presse, comme le droit à l’information, un tant soit peu solidaires de ceux qui contestent l’existant, deviennent à leur tour la cible de la « justice » et sont pourchassés.
Il est à noter que malgré cela de nombreux journalistes turcs d’Ankara ou d’Istanbul sont partis par exemple à Diyarbakia pour apporter soutien et solidarité à leurs confrères les plus menacés, car témoins en premières lignes des horreurs perpétrées par le régime d’Erdogan contre les Kurdes.
Ils ont osé manifester devant les prisons et les tribunaux. Ce courage-là, mérite un grand respect.
J’ai beaucoup parlé des journalistes j’en ai conscience parce qu’ils sont, je l’ai dit, un peu le symbole de cette liberté piétinée, mais bien évidemment le glaive de l’injustice et de l’oppression du pouvoir turc s’abat sans discernement sur les militantes et militants, sur les travailleuses et les travailleurs, sur les citoyennes et citoyens qui font simplement le choix de vivre debout quel qu’en soit le prix à payer. Nous connaissons tous également des témoignages nombreux d’infirmières, d’agents municipaux, je ne développe pas…
Et contre eux, contre ces démocrates, il y a du monde ! Je pense par exemple à ces forces de sécurité qui ont encerclé et qui encerclent plusieurs villes et villages du Sud-est de la Turquie, qui encerclent, emprisonnent ou assassinent. Derrière ces actes barbares, il faut s’efforcer de ne pas y voir que d’anonymes victimes.
Ils et elles ont des noms, des maris ou des épouses, ils ou elles ont, ou avaient des enfants.
Il s’appelait Mehmet Kaplan, était employé par la municipalité de Cizre. Il était membre de la confédération syndicale turque la DISK. Il fut abattu comme un chien devant son domicile.
Il s’appelait Ramazan Uyral, était un militant de la même DISK, il fut abattu, et l’ignominie étant un puits sans fonds, ceux qui ont tenté de ramasser son corps dans la rue ont essuyé des coups de feu. Et ces informations je les tiens du Secrétariat Général de la Confédération Syndicale Internationale (la CSI) qui représente 180 millions de travailleurs répartis en 333 organisations affiliés dans 162 pays ou territoires. La DISK et le KESK sont affiliées à la CSI et à la CES.
Je vais conclure mon propos sur cette force potentielle que représente le syndicalisme au local et au global. Des dizaines de millions de travailleuses et de travailleurs syndiqués de part le monde qui savent concrètement ce que veut dire et ce que peut faire bouger la « solidarité internationale », ce n’est pas rien.
Il y a les peuples turc et kurde qui sont aujourd’hui la préoccupation légitime de chacun d’entre nous ici dans cette salle. Oui le syndicalisme dans sa dimension internationale sait être parfois cette force, sait parfois mettre en mouvement cette indispensable vague solidaire.
Mais si j’ai rajouté « potentiel » c’est bien parce que le monde va mal, et que le rapport de force n’est pas toujours, n’est pas suffisamment à la hauteur de l’exigence et de l’agression. Si j’ai rajouté « potentiel » c’est bien parce que la solidarité et la légitimité du nombre n’arrivent pas ou insuffisamment à combattre les forces de l’argent à plus forte raison, lorsqu’elles ont des tentacules armées au sens littéral du terme comme c’est le cas en Turquie.
Parce que les travailleurs en prennent plein la figure partout, certes à des degrés divers. Je ne comparerais évidemment pas Grenoble au bord de l’Isère et Cizre dont je parlai tout à l’heure qui elle, est au bord du gouffre et du Tigre. Mais il me revient sans doute de rappeler ici, que partout ou presque le syndicalisme de contestation, et les travailleurs en luttes sont aujourd’hui stigmatisés et à des degrés divers combattus, l’actualité sociale en porte quotidiennement témoignage. Ce fut d’ailleurs l’un des thèmes abordé par le dernier Comité Général de la CSI qui vient de se tenir à Vienne en Autriche.
Mais, restons en Isère : toute l’énergie que les travailleurs dépensent, que nous dépensons dans ces indispensables combats de proximité à la Poste ou chez ECOPLA, elle est forcément moins disponible pour les non moins indispensables combats universels. Notre temps militant étant absorbé par ce quotidien, il est forcément un peu moins disponible au-delà, ou du moins pas à la hauteur du nécessaire. Je le dis ici parce que parfois on attend tellement de la CGT…
Je conclus vraiment par une toute dernière phrase : Solidarité avec le peuple turc bien sur ! Solidarité avec le peuple kurde, bien évidemment ! Et des initiatives comme celle-ci il en faudrait partout pour dénoncer les agressions liberticides et criminelles qu’ils subissent, et l’Union Départementale CGT, le Comité Régional CGT, en un mot la CGT avec ses moyens et à la place qui est la sienne, tenait à être aujourd’hui et ici de ce combat solidaire !
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1308