Pour la troisième fois depuis sa création en 1919 et sa renaissance en 1944, l’Organisation Internationale du Travail est confrontée aujourd’hui à une situation mondiale particulièrement dégradée.
Il y a donc urgence et impérieuse nécessité de repenser le rôle, les missions et le fonctionnement de l’OIT, de redonner du sens à sa mission première à savoir la défense du travail, des conditions de son exercice, du niveau de sa rémunération, et la protection de ceux qui l’exercent.
Au nom d’une concurrence de plus en plus sauvage, les salariés sont l’objet d’une véritable mobilisation générale qui les engage à leur corps défendant dans une guerre mondiale sans merci.
A l’échelle mondiale le constat est amer et alarmant
La moitié de la population active travaille dans le secteur informel, c’est-à-dire sans contrat de travail.
73% de la population mondiale ne dispose pas d’une protection sociale adaptée,
40% de la population n’est pas affiliée à un système couvrant les soins de santé,
Près d’1 personne âgée sur 2 ne perçoit aucune pension de retraite,
28% seulement des femmes peuvent bénéficier d’allocations maternité,
Seuls 12% des chômeurs perçoivent une indemnisation et cette proportion est en baisse constante depuis 2009,
Les inégalités se sont creusées dans la plupart des pays au cours des quarante dernières années.
Si le nombre de travailleurs en situation d’extrême pauvreté a baissé au cours des dernières décennies, il existe toujours 1,4 milliard de personnes qui vivent avec moins de 5 dollars par jour et parmi eux 319 millions de travailleurs qui vivent avec moins de 1,25 dollar,
En 2015 le chômage (officiel) touchait quelques 197 millions de personnes soit 1million de plus que l’année précédente et 27 millions de plus qu’avant la crise,
Même en progression, le taux d’emploi des femmes est inférieur de 26% à celui des hommes, l’écart de salaire est supérieur à 20% en défaveur d’une population féminine.
Chaque année 2,3 millions de travailleurs décèdent du fait des accidents du travail ou de maladies liées au travail. De ce fait, il y a plus de victimes du travail chaque année dans le monde qu’il n’y en a dans tous les conflits et les guerres réunis.
Enfin et ce n’est pas la moindre des données spectaculaires de la période : la moitié de la population mondiale vit dans des pays qui n’ont pas ratifié les conventions N° 87 et 98 de l’OIT, c’est-à-dire les textes internationaux qui protègent la liberté syndicale, le droit de grève et le droit à la négociation collective. On comprend à cette partielle énumération que des Etats majeurs font défaut.
Si pendant plusieurs décennies le « progrès social » s’illustrait par une progression des droits, des libertés et des conditions matérielles, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Les luttes syndicales et les débats politiques du local au global ne produisent plus les mêmes effets d’entraînement.
Lorsqu’un travailleur sur deux n’a pas de contrat de travail et que plus de 70% de la population ne bénéficie pas de système de protection sociale, la question tant évidente qu’anxiogène qui vient à l’esprit est bien : quel modèle prévaudra demain ?
Celui de la régulation par le droit social ou une sorte de loi de la jungle dans laquelle les travailleurs seront désormais du « gibier » comme ils étaient en 14/18 de la chaire à canons, pendant que les actionnaires et les propriétaires continueront d’engranger d’énormes dividendes ?
Sur les décombres de la seconde guerre mondiale, les Etats réunis à Philadelphie avaient retenu quelques principes à la fois simples et ambitieux pour dessiner l’avenir de l’humanité :
« Le travail n’est pas une marchandise ! »
« La pauvreté où qu’elle existe constitue un danger pour la prospérité de tous. »
« La primauté des aspects humains et sociaux sur les considérations économiques et financières »
Or aujourd’hui, les firmes multinationales occupent une place déterminante dans l’organisation (ou la désorganisation) du monde.
Reparlons chiffres :
On évalue aujourd’hui leur nombre à près de 80 000 qui contrôleraient directement près d’un demi-million de filiales et emploieraient plus de 200 millions de travailleurs.
Avec l’ensemble des emplois induits par leurs activités, près d’un travailleur sur cinq
sur la planète, tirerait tout ou partie de son revenu des multinationales.
L’évasion fiscale est aujourd’hui estimée entre 8 et 10% de la richesse mondiale :
2 000 milliards d’euros pour la seule Union Européenne chaque année, et entre 50 et
80 milliards pour la France.
La crise multiforme que nous connaissons révèle les failles, les abysses d’un modèle profondément injuste du point de vue social, inefficace du point de vue économique et insoutenable du point de vue environnemental.
On a souvent coutume (mis à part à la CGT !) quand il s’agit des questions environnementales, d’omettre les questions sociales, et parfois même de les opposer, comme s’il fallait choisir entre le sort de la planète et celui de ses habitants !
Pourtant il suffit simplement de regarder les cartes des atteintes aux droits sociaux et des atteintes à l’environnement pour constater… qu’elles se superposent de façon tant évidente qu’inquiétante.
Le centenaire de l’Organisation Internationale du Travail doit être impérativement l’occasion d’interpeller sur ces réalités vécues par le monde du travail et sur les enjeux que recouvre l’avenir de cette institution et, à travers elle, le devenir des droits des travailleurs sur les différents continents.
Nos propositions et nos combats sont comme jamais porteurs d’avenir, de mieux être et de mieux vivre au travail et par le travail.
Ils représentent certes des défis considérables pour nous tous, mais ils conditionnent et façonnent tout simplement le monde de demain. Ils nécessitent la construction de réponses et de propositions offensives et à la hauteur des enjeux. Nous pouvons ici en citer quelques unes :
Renforcer la responsabilité des Etats devant les normes internationales de l’OIT.
Engager la responsabilité des entreprises et plus particulièrement celle des firmes multinationales devant les normes internationales du travail.
En matière environnementale, il revient à l’OIT d’affirmer la dimension sociale dans le nécessaire processus de transition vers une économie à faible émission de carbone ce qui implique des anticipations et des garanties pour les salaires et l’emploi et appelle des révolutions dans les pratiques et les objectifs de l’activité économique.
Envisager la mise en œuvre d’une conditionnalité sociale. Un prêt du FMI par exemple ne pourrait porter atteinte, tel en Grèce et dans une foultitude de pays, tant aux droits sociaux et humains du pays « bénéficiaire » du prêt.
Enfin, mettre en œuvre des réformes procédurales et de fonctionnement internes. Pour illustrer le propos, depuis 2012, la règle du consensus est par exemple mise à mal par les velléités du groupe des employeurs de se désolidariser de la reconnaissance et de l’application de certains principes fondateurs de l’organisation.
L’OIT n’est pas que cette « chose » onusienne, tripartite qui parait si lointaine, c’est aussi et surtout un lieu important où se joue aussi par nos luttes, le rapport de force tant isérois que planétaire.
Profitons du centenaire de cette institution pour lui redonner ses principes de 1919 et
1944. Pour cela une manifestation syndicale mondiale est prévue en juin à Genève, nous en serons !
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1489