En ces temps de politiques troublées, deux institutions culturelles lyonnaises proposent de débattre et de s’enrichir de spectacles propices à la réflexion. « Quand le Peuple se cherche », « Quand le Peuple agit » et « Quand le Peuple décide », sont les trois thématiques qui interpelleront sans doute chaque citoyen, militant ou non, qui se reconnaîtra dans cet appel.
Article publié dans la NVO du 2 décembre 2011
La ville de Lyon est chargée de symboles.
En choisissant le quartier de la Croix-Rousse pour des rencontres-débats sur le thème du Peuple, Jean Lacornerie et Guy Walter savent très bien qu’ils jouent d’un symbole sensible. Le premier est directeur du théâtre de la Croix-Rousse et le second dirige la villa Gillet où l’on peut visiter des expositions et assister à des colloques, conférences et débats littéraires. La Croix-Rousse ? C’est la colline des Canuts, celle qui travaille en opposition à la colline qui prie, celle de Fourvière située juste en face et surplombée de son imposante basilique du 19ème siècle.
Jean Lacornerie donne du beau verbe et du spectacle. Il crée de l’émotion et du ressenti quand Guy Walter fouille, décortique et met en bouche l’intelligence humaine dans la parole philosophique ou sociologique. Deux lieux ouverts et pleins à craquer : à chaque fois, le public répond présent aux rendez-vous proposés ! Une telle foule dans ces lieux ? Le signe que la demande de dialogue est forte, que la population aime la rencontre, le verbe et la parole. Chacun cherche l’argument, chacune aime à découvrir, à apprendre ou à contredire. Et pas simplement à Lyon, l’actualité de ces derniers mois nous l’a rappelé. Des primaires citoyennes aux tumultes créés par le spectacle de Roméo Castelucci en passant par l’attentat contre Charlie Hebdo sans oublier, bien sûr, la réforme des retraites… Chaque évènement extraordinaire pousse la population à réagir. Elle ne s’en prive pas !
Constats et carences
C’est à partir de ce constat, mais également des carences qui y sont liées que ces deux lyonnais de la Croix-Rousse ont décidé de mettre leurs talents en commun. L’idée est simple : faire le lien entre le spectacle et le débat qu’il suscite. « Au Peuple ! », appellent donc les deux compères, au cours de trois spectacles et débats ces prochains mois (voir encadré). « On invoque toujours le Peuple, selon le modèle français. » prévient Guy Walter, « dès lors qu’il y a une parole collective, la référence au Peuple est argumentée. Est-ce que l’on appartient au même Peuple quand on gagne 100 fois moins qu’un patron du CAC 40 ? ». Que signifie Le Peuple ? « Appartient-on au même territoire, dans le corps général de la France, lorsqu’on habite en zone suburbaine ou lorsqu’on vit en centre ville ? », interroge le directeur de la Villa Gillet.
Cette question du communautarisme sera au cœur du premier débat, le 5 décembre à la Villa Gillet, il est intitulé « Quand le Peuple se cherche ». Avec Guillaume Le Blanc, philosophe et écrivain, spécialiste de la critique sociale : précarité, exclusion, vie décente sont au centre de son dernier ouvrage, « Que faire de notre vulnérabilité ? » (Ed. Bayard 2011). En présence aussi du brillant politologue… de droite, Dominique Reynié, professeur à Science Po Paris et membre de la commission nationale consultative des droits de l’homme. Sa dernière réflexion est concentrée dans « Populisme : La pente fatale ! » (Ed. Plon 2011).Et de l’essayiste néerlandais Rob Riemen, dont les sujets de prédilection sont déclinés au sein de l’institut Nexus, qu’il a fondé et dont il est président, où il aborde notamment les valeurs morales, l’humanisme ou la sagesse. Le titre de son dernier ouvrage ? « L’éternel retour du fascisme » (Ed. Nil 2011).
Une chorégraphie musicale
Un Peuple qui se cherche, c’est également le cœur du spectacle « West side Story » qui sera présenté au théâtre de la Croix-Rousse, du 14 au 23 décembre. Jean Lacornerie rappelle combien ce texte est important. « On y trouve de quoi nourrir le débat sur l’identité, le territoire et la délinquance », souligne l’homme, « il ne s’agit pas simplement d’une histoire d’amour impossible ». Cette création, principalement musicale, sera l’occasion de découvrir non seulement le texte en français, mais également une orchestration originale de l’œuvre de Léonard Bernstein donnée pour la première fois en 1957. « La chorégraphie sera interprétée par les instruments de musique », annonce en souriant le directeur du théâtre dont l’univers créatif mêle spectacle vivant et musique. Ne seront présents sur scène que des instruments de la famille des percussions : des xylophones, des timbales ou des vibraphones dirigés par Gérard Lecointe, le directeur artistique des percussions claviers de Lyon, accompagnés des chœurs et solistes sous la direction de Bernard Têtu.
« Si on ne parlait pas en 1957 de multiculturalisme, on y abordait le melting-pot avec une approche plus heureuse. Aujourd’hui nous opposons toujours le multiculturalisme avec le modèle républicain français comme modèle universel, alors que le morcellement identitaire est fort dans une nation qui ne se porte pas extrêmement bien », souligne Guy Walter. « Il nous faut acter que l’on vit dans une société métissée et qu’aujourd’hui la citoyenneté du modèle français ne fonctionne pas très bien ». Cette réflexion résonne parfaitement avec le spectacle proposé. Avec cette question, sous-jacente : pourquoi avoir choisi semblables territoires comme lieux de réflexion ? Le travail et l’examen critique de la société restent aujourd’hui au sein de partis ou d’institutions qui ne proposent que très rarement une parole contradictoire dans les lieux mis à disposition du public, donc du Peuple. Face à cette réalité, la Villa Gillet et le théâtre de la Croix-Rousse ont donc décidé d’offrir leur espace pour ce qu’ils sont : d’un côté le spectacle, de l’autre le débat. L’organisation d’une discussion en fin de spectacle se concentrant presque à chaque fois sur la forme perçue, plus que sur le fond, il y a un risque de passer à côté de l’effet voulu. Or, c’est précisément sur le fond que la volonté de débat est née sur cette colline du travail.
Le militant piqué au vif
« Il y a aujourd’hui un affaiblissement de la culture politique et syndicale. Les militants d’autrefois avaient des formations et des repères qui permettaient de se constituer comme corps. Aujourd’hui ils s’unissent par la revendication et les inégalités. Quels modèles politiques ont en tête les militants, à quoi s’adossent les revendications d’égalité ? », S’interroge Guy Walter. « Il y a un déficit de pensée politique dans les grands partis, ils proposent des solutions techniques sans véritables projets de société », affirme-il. Cette réflexion piquera probablement au vif le militant, à la CGT ou ailleurs, le lecteur de ces pages qui parfois pourrait se croire plus légitime que tout citoyen dans sa conception du Peuple. Ces débats contradictoires seront donc l’occasion de théoriser, d’analyser. De justifier, aussi et parfois, le militantisme populaire dans ce qu’il y a de plus noble et d’enrichissant. Ne nous en privons pas !
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article831