Aujourd’hui rénové et modernisé, le Théâtre National Populaire, le TNP de Villeurbanne (69), fonde sa conception et sa programmation sur une idée simple : pour chaque individu, spectateur affûté ou non, que la rencontre de l’autre par le théâtre soit propice à développer l’intelligence.
Article publié dans la Nouvelle Vie Ouvrière du 13 janvier 2012
Dans les couloirs et les grandes salles d’expositions, des photographies remontent l’histoire. Le visiteur peut alors prendre son temps pour identifier les personnages, et les visages qui leur ont prêtés leurs traits. Ici, Jean Bouise avec Isabelle Sadoyan. Là, Gérard Philipe avec Maria Casarès ou encore Laurent Terzieff sur un autre cliché plus récent. Mais il y a aussi une histoire faite d’autres visages et d’autres noms comme Jean Vilar, Georges Wilson, Patrice Chéreau, Georges Lavaudant et Roger Planchon… Ils furent les créateurs et les façonneurs successifs d’un Théâtre National Populaire (TNP) qui vient aujourd’hui d’être rénové entièrement sous l’impulsion de Christian Schiaretti.
A une réaction qui faisait remarquer que le théâtre ne changeait pas vraiment dans sa conception et son rapport au public, Roger Planchon soulignait en 1979, que c’était peut-être là, la grande chance du théâtre. « Les spectateurs de demain seront peut-être fatigués de voir des images toujours derrière un écran », soulignait alors le directeur du TNP dans sa lettre à l’an 2000. Aujourd’hui ces mots ont de quoi laisser quelque peu songeur, alors que les images de toutes sortes se diffusent sur des écrans de toutes tailles, possibles et inimaginables. Les théâtres refusent du monde. Les salles sont pleines à craquer d’une foule curieuse de venir voir des personnages interprétés par des comédiens(nes) en chair et en os, qui transpirent pour donner le meilleur d’eux-mêmes.
Un public avide d’émotions
Parfois les réactions d’un public avide de vérités et d’émotions peuvent être étonnantes. « Nous avons été surpris de voir la foire d’empoigne et les queues devant le théâtre avec des gens qui avaient des pancartes pour réclamer des places », explique Christian Schiaretti à propos des premières représentations de Ruy Blas, de Victor Hugo. Pièce que la troupe du TNP joua durant un mois pour l’inauguration du théâtre rénové. Donner un texte aussi important de l’œuvre théâtrale avec les vingt-deux comédiens qu’il impose, ou encore les trente-six personnages de Coriolan de William Shakespeare, exige d’abord une volonté et ensuite des moyens considérables que seule une scène publique peut obtenir. Ainsi Ruy Blas relevait un manque, dans toutes les dimensions contradictoires ou politiques de son auteur. « Victor Hugo est l’affaire de tous », souligna en son temps Aragon, une citation qu’aime à rappeler Christian Schiaretti.
Dans le cas d’Hugo et plus particulièrement de Ruy Blas, « la demande dépassait la qualité du spectacle » souligne le metteur en scène. « Accepter de diriger le TNP, c’est accepter une relation particulière avec le public. C’est un genre, une forme dans laquelle est enclose une part de la réflexion sur le monde. C’est une dimension pédagogique… », affirme t-il en précisant que la période de l’écriture de Ruy Blas (1838) ressemble étrangement à celle d’aujourd’hui où l’on assiste à une restauration du profit et à un désarroi politique plus fort.
Un lieu d’éducation populaire
D’hier à aujourd’hui, le fondement et la raison d’être ce qui est devenu le TNP ? Un projet d’éducation populaire. Ce lieu unique, aux premières heures de sa création en 1928 « Palais du Travail » sur les plans de l’architecte Morice Leroux, relève véritablement d’une volonté politique. Celle d’un homme et de son aspiration à concevoir un lieu destiné à devenir temple laïque ou cathédrale du Peuple. Lazare Goujon, maire de Villeurbanne en 1924, crée ainsi un espace qui devient « un centre d’activité intellectuelle, artistique et morale indispensable à l’éducation de la classe ouvrière, condition essentielle d’une amélioration de son sort ». Cette maxime fut très justement relevée dans le supplément spécial consacré à l’histoire du TNP par Viva Magazine en novembre dernier.
Dans ce bâtiment conçu pour être « accueillant à tous les besoins du Peuple », qu’y trouve-t-on à l’époque ? Un dispensaire, le bureau d’hygiène sociale, une salle de conférence et une piscine sur l’aile Est, une salle des fêtes qui deviendra théâtre et une brasserie dans le corps central, puis sur l’aile Ouest des bureaux et des salles de réunions. Dans la nouvelle structure rénovée, ces principes de bases ont été respectés et le visiteur peut apercevoir aujourd’hui, depuis l’extérieur sur le grand parvis les locaux syndicaux de l’aile Ouest.
La modernité de ce nouvel ensemble garde le cachet des structures de l’histoire. Les salles, lieux d’expositions permanentes ou éphémères, sont d’une agréable simplicité et surtout d’un accès gratuit. La grande salle Roger Planchon possède une jauge d’environ 700 places pour un plateau modulable de 300 m2 et deux salles de répétitions. Elle est accompagnée d’un autre petit théâtre construit derrière le bâtiment principal, capable d’accueillir 250 spectateurs à auquel s’ajoutent des lieux de répétitions et de formation. Quand à la Brasserie d’aujourd’hui, un plateau de cabaret lui a été adjoint.
La maison théâtre
Ainsi le TNP décentralisé en 1972, qui déménagea du Palais de Chaillot à Paris pour venir à Villeurbanne, est inscrit aujourd’hui dans l’espace urbain comme une « maison théâtre » qu’aime à décrire son directeur Christian Schiaretti. « Tous ces mots et ces idées de Palais du travail de maison théâtre, d’hygiène corporelle et intellectuelle sont au cœur de nos préoccupations sociales. Le graphisme des lettres du TNP est le même que sécurité sociale. Le symbole est important et la trace politique est un projet civique de partage. L’élégance est une nécessité dans la démocratie. Ma définition du Théâtre National Populaire ? Une élégance, un raffinement qui sont consentement. Au contraire d’un raffinement imposé et ostentatoire qui devient une oppression ». Une telle conception du « populaire », jusque dans le choix des matériaux de construction et ainsi dans la conception du lieu théâtral, devra forcément joindre le répertoire aux propos. Victor Hugo si présent dans la mémoire collective d’un « Peuple éduqué » peut ainsi donner la joute verbale à Molière ou à Shakespeare, une foule d’autres auteurs plus contemporains pourront également s’y retrouver. En affirmant ainsi sa valeur généreusement éducative, le TNP s’enracine et affirme son côté populaire. « Le théâtre doit faire de la pensée, le pain de la foule », disait justement Victor Hugo. C’est la proposition de Christian Schiaretti au public et c’est jubilatoire.
Des hommes et une histoire
Créé en 1920 par Firmin Gémier, le Théâtre National Populaire est logé le 11 novembre de la même année dans le palais du Trocadéro à Paris, puis en 1937 dans le Palais de Chaillot. Jean Vilar, en 1951, en fera un véritable théâtre de service public qui attire la foule avec une idée simple : que le spectateur entretienne une relation particulière avec la scène, comme il l’avait expérimenté plus tôt en 1947 en créant le festival d’Avignon. En 1963, Georges Wilson succède à Jean Vilar qui se consacre exclusivement au festival d’Avignon. Sous l’impulsion de Georges Wilson, un théâtre plus contemporain et expérimental voit le jour. Le TNP est ensuite décentralisé en 1972 à Villeurbanne dans l’actuel Palais du travail, sous la direction de Roger Planchon qui y dirigeait alors le Théâtre de la Cité depuis 1957. Roger Planchon travaillera en équipe avec Patrice Chéreau et Robert Gilbert de 1972 à 1986, puis avec Georges Lavaudant de 1986 à 1996. En 2002, Christian Schiaretti en devient le nouveau directeur. En 2009, il obtient six nominations pour « Coriolan » de Shakespeare à la cérémonie des Molières : le Molière du théâtre public, celui du meilleur metteur en scène et celui du meilleur comédien dans un second rôle pour Roland Bertin.
En savoir plus
Depuis toujours, le TNP a eu pour politique d’intégrer en permanence une troupe en résidence. Qui travaille en collaboration avec une cinquantaine de salariés permanents, auxquels il faut ajouter une autre cinquantaine d’intermittents du spectacle réguliers tout au long de l’année. Les représentations de « Ruy Blas » de Victor Hugo reprendront dès le mois d’octobre prochain Le TNP est subventionné par le Ministère de la culture, la Ville de Villeurbanne, la Région Rhône-Alpes, le Département du Rhône. Il travaille également avec la participation artistique de L’ENSATT.
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article846