Aborder la question de la formation professionnelle des salariés fragilisés par l’état actuel de l’économie est une gageure que le Ceser n’a pas craint d’affronter, bien que le Conseil régional ne soit pas directement compétent sur le sujet.
Notre contribution relève, avec l’OCDE, que « la montée en compétences des salariés par le formation constitue un facteur déterminant de la compétitivité des économies européennes ». En France aussi, « il s’agit de sécuriser les parcours professionnels, de maintenir l’employabilité des travailleurs ». Nous rajoutons d’emblée : de préserver la qualification de la population en âge de travailler, et même de la développer.
Cette contribution apporte des éclairages utiles et appréciés sur un périmètre d’observation pertinent : les salariés actuellement en situation de fragilité. On vérifie que la formation va toujours aux mieux formés, que le niveau de formation initiale détermine fortement l’accès à la formation continue, et que la césure se fait entre ouvriers/employés d’un côté, et catégories supérieures de l’autre. On confirme également que la taille des entreprises est un élément déterminant, la proportion de formés passant du simple au double entre TPE et grandes entreprises.
Par ailleurs, les questions cruciales que posera le développement des nouvelles formes d’emploi sont seulement abordées car d’ores et déjà on sait que la fragilisation des salariés pourra exploser, et il est probable que les observations que nous venons de vérifier seront capitales dans l’appréciation de la situation émergente. Mais ces questions sur les nouvelles formes d’emploi feront l’objet d’une contribution spéciale ultérieure.
La commission s’est donc attachée à identifier les freins récurrents à la formation pour les salariés, ainsi que les leviers immédiatement mobilisables. C’est sur ces deux séries de constats qu’elle a bâti ses préconisations.
Pour les employeurs, la distinction est faite selon que la formation répond à une obligation réglementaire, ou à un investissement compétitif. Il est logique de constater que les petites entreprises auront beaucoup plus recours aux formations obligatoires qu’au développement des compétences. Statistiquement, c’est l’inverse pour les plus grandes.
La première de nos objections sera la distinction faite entre « formation professionnelle organisée », et formation professionnelle. L’apprentissage des gestes professionnels se fait d’abord et avant tout dans les organisations qui le permettent. Il n’y a pas deux courants de formation professionnelle continue, il y a des conditions d’apprentissage et de reconnaissance différentes, mais la finalité est unique, et ce depuis la loi fondatrice de 1971 : permettre à chacun d’exercer son activité dans des conditions satisfaisantes pour tous.
La dernière loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et au dialogue social (les mots sont importants) ne met pas en place une coresponsabilité entre employeurs et salariés en ce qui concerne leur développement au sein de l’entreprise. Le fondement du système actuel de formation est la séparation entre les obligations attribuées à l’employeur en raison de son pouvoir de direction et de l’existence d’un lien de subordination entre son employé et lui, et le droit de tout adulte à se former en raison du principe constitutionnel qui énonce que la formation professionnelle, comme l’éducation, est une obligation nationale. C’est ce qui est rappelé par l’article L6111-1 du code du travail, qui reprend en l’améliorant l’ancien article premier de tout le système de formation continue.
Pour mettre en application cette obligation nationale, la loi a donc organisé la répartition des responsabilités en fonction des autres liens sociaux et économiques en vigueur. L’article 6321-1 du code du travail s’applique depuis des décennies. Il stipule que « L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret. Les actions de formation mises en œuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de formation mentionné au 1° de l’article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d’obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l’acquisition d’un bloc de compétences. »
Là aussi, les mots sont importants, nous y tenons : l’employeur « assure », il « veille » au maintien de la capacité à occuper un emploi, et pas seulement dans sa seule entreprise. Il « peut » participer au développement des compétences. Dans le premier cas, on s’approche de la notion de prescription, l’employeur étant le responsable de la pérennité et du développement de son entreprise. Dans le second cas la liberté appartient au salarié, qui se forme ou non, et qui choisit la modalité de formation qui lui convient.
Cette distinction fondamentale permet aux salariés d’être protégés contre des licenciements dont le motif serait contraire aux droits de l’Homme. D’ailleurs la jurisprudence est claire et ferme sur le sujet. C’est dans l’arrêt Expovit en date du 25 février 1992 que la Cour de cassation a posé le principe suivant : « l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois » (Cass.Soc., 25 fév 1992, n°89-41.634). Je ne vais pas vous assommer avec d’autres arrêts, mais depuis 2007, s’ils ne veulent pas être sanctionnés, les employeurs doivent proposer régulièrement des actions de formation à leurs salariés (Cass.Soc., 23 oct. 2007, n° 06-40.950), et ce, même si ces derniers ne le sollicitent pas.
Il est très probable, en tout cas nous l’espérons, que ces prochaines années, cette obligation d’adaptation continuera à prendre de l’ampleur puisque la loi du 5 mars 2014 met en place plusieurs outils destinés à assurer l’EFFECTIVITE de cette obligation, notamment à travers l’entretien professionnel biannuel, et l’entretien qui doit avoir lieu tous les six ans pour établir un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié.
La dernière réforme n’a donc pas du tout institué l’obligation de former, celle-ci préexistait et c’est pour cette raison que la diminution de l’obligation de financement a pu être décidée.
Il est vrai qu’en même temps, l’orientation du législateur a été renforcée de rendre l’individu « acteur » de son parcours, en créant le CPF qui organise la formation en blocs de compétences qualifiants, et le CEP gratuit pour tous. En pratique, le CPF vendu comme un droit universel est devenu avant toute autre considération, la mise initiale que tout financeur, y compris l’employeur, attend du demandeur de formation. Le CPF n’est plus alors qu’une subvention accordée à la personne qui veut bien se former pendant ses loisirs. Mais ça reste appréciable.
C’est donc à la lumière de ces analyses que la commission aurait dû faire les préconisations en direction de la Collectivité régionale, qui s’est vue comme toutes les autres confier progressivement la charge de la FP pour les personnes sans emploi ou dont l’emploi est menacé, et ce depuis 1983.
Les apprentissages en situation de travail existent depuis que le droit à la formation existe. Rien n’a jamais empêché un employeur préoccupé par le maintien ou le développement de son entreprise de passer commande à un organisme de formation pour importer cette formation intra-muros, ou pour confier à l’un de ses propres salariés la démultiplication de ses savoir-faire.
Les leviers mobilisables passent donc par la situation réelle des droits et devoirs de chacun. Les publics prioritaires n’ont jamais changé : il s’agit toujours des personnes les moins qualifiées, et seuls les intéressés eux même et leurs employeurs sont en mesure de définir ensemble les caractéristiques individuelles de fragilisation de l’emploi qui les concerne, tandis que la collectivité met en place des mesures de soutien et d’offres de formation.
Les autres recommandations, comme la redéfinition permanente des secteurs ou territoires fragilisés sont évidemment toujours valables, en coopération avec l’Etat, les partenaires sociaux, les OPCA et le SPRO.
Nous approuvons l’idée que le Carif-Oref est l’élément structurant des diagnostics emploi-formation. A condition qu’il demeure le carrefour des acteurs concernés : partenaires sociaux, financeurs et producteurs de données.
L’ingénierie de formation relève du domaine de compétences des organismes de formation, dont c’est le métier, et des OPCA dont se sont dotés les travailleurs, regroupant des partenaires sociaux et des techniciens, qui les rémunèrent. C’est la conséquence de la marchandisation de la formation.
Par ailleurs, les salariés doivent se saisir des résultats d’insertion et d’exercice du métier qu’offrent ces mêmes organismes de formation pour optimiser leur propre investissement personnel. Il y a là tout un champ de communication à développer.
Le Conseil régional vient de supprimer près de 45 M€ aux organismes de formation. Les structures publiques les mieux outillées : le CNAM, les GRETA, l’AFPA entre autres, en ont fait les frais. Ces organismes doivent retrouver les moyens qui leur font défaut.
Les plates-formes de sécurisation des parcours professionnels, dont la vocation était d’aider les entreprises et les salariés de droit privé à optimiser l’utilisation des mesures à disposition dans le champ de l’orientation et de la formation professionnelle, doivent être rétablies et étendues sur l’ensemble de la région.
Il s’agit là non pas de blâmes à distribuer, mais d’alertes et de préconisations à placer en primeur.
Nous regrettons que notre intervention sur les responsabilités respectives des employeurs et salariés, fondement du système toujours actuel, n’ait pas été mieux prise en compte lors de sa rédaction, nous déplorons que cette contribution manque l’objectif initial, qui était bien l’élaboration d’un état des lieux et la confection de premières pistes d’anticipation. Nous faisons confiance à notre commission et au Ceser pour élaborer dans le cadre du prochain travail sur les nouvelles formes d’emploi, une étude rigoureuse et complète sur la formation professionnelle continue que nous souhaitons.
La CGT s’abstiendra pour cette fois-ci.
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1356