Le dernier rapport du Comité national de suivi du CICE est sorti le 29 septembre dernier. Comme chaque année depuis 2014, il fait un bilan d’étape du dispositif entré en vigueur le 1er janvier 2013. Pour la première fois, il livre une estimation de l’impact du CICE sur l’emploi. Entre 50 000 et 100 000 emplois auraient « probablement » été créés. Cette estimation a été reprise et commentée par l’ensemble des médias et a fait l’objet d’un communiqué de la CGT.
Le CICE, c’est quoi ?
Le Crédit Impôt Compétitivité Emploi est l’un des instruments du Pacte national pour la compétitivité et l’emploi qui fait suite au rapport Gallois sur la compétitivité française. Concrètement, il s’agit d’un crédit d’impôt pour les entreprises, dont le montant est calculé sur la base d’une partie de leur masse salariale (l’ensemble des salaires inférieurs ou équivalents à 2,5 fois le SMIC). Le crédit d’impôt a été fixé à 4% de cette assiette en 2013, rehaussé à 6% en 2014 et devrait être porté à « au moins 7% » en 2017 .
D’un point de vue comptable, le CICE doit être affecté, c’est-à-dire que l’entreprise doit retracer dans sa comptabilité annuelle l’utilisation du CICE. L’entreprise bénéficie d’une grande latitude dans le choix de l’affectation, la seule interdiction notable étant l’impossibilité de l’utiliser pour augmenter les bénéfices distribués ou la rémunération des dirigeants.
Le CICE est cumulable avec d’autres crédits d’impôt ce qui constitue une entorse au principe d’usage dans la législation fiscale. Ainsi, une entreprise employant des salariés dédiés à son activité de R&D peut bénéficier d’un crédit d’impôt au titre du CIR et d’un crédit d’impôt au titre du CICE sur la même masse salariale.
Le CICE, c’est combien ?
Depuis 2013, plus de 43 milliards d’euros de créances fiscales ont été déclarées par les entreprises au titre du CICE . A titre de comparaison, cela représente 1,5 fois le budget cumulé du ministère de la culture entre 2013 et 2016. Les créances fiscales au titre de 2013 se sont élevées à 11,4 Mds d’euros, répartis entre un peu plus d’1 millions d’entreprises. Là-encore, à titre de comparaison, cela représente 91% du montant du déficit du régime général de la sécurité sociale sur l’exercice 2013 (12,5 Mds d’euros).
Le taux ayant été porté à 6% de la masse salariale, les créances (quasi-définitives) au titre de 2014 s’élèvent à 17,3 Mds d’euros soit 1,7 fois le montant du déficit du régime général pour 2014 (9,7 Mds). En 2014, près de 180 000 entreprises supplémentaires ont profité du dispositif par rapport à 2013.
En région Auvergne-Rhône-Alpes, un peu plus de 4,4 Mds d’euros de créances ont été octroyées depuis les débuts du dispositif et, en 2014, plus de 150 000 entreprises en ont bénéficié.
Le CICE, c’est évalué comment ?
Le comité de suivi
Un comité de suivi national a été instauré par la loi de finance rectificative du 29 décembre 2012. Il est placé sous l’animation de France Stratégie (l’ancien Commissariat général du plan) et est composé pour moitié des organisations représentatives de salariés et d’employeurs, et pour moitié des représentants des administrations publiques. Il est chargé d’établir chaque année, avant le dépôt du projet de loi de finances, un rapport public exposant l’état des évaluations.
La loi prévoyait qu’il soit accompagné de comités régionaux de suivi. A ce jour, seule la région PACA s’est dotée d’une telle instance et on ne dispose donc de quasiment aucune information au niveau régional.
Suite à la conférence sociale de juillet 2014, les missions du comité national ont été élargies et il est en charge du suivi et de l’évaluation de l’ensemble des aides publiques aux entreprises. Si le comité a été rebaptisé Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements, le champ et les moyens de cet élargissement des missions n’ont pas été délimités. Le comité a lui-même décidé que « dans un premier temps, le suivi et l’évaluation pourront être élargis aux dispositifs proches du CICE au regard de leur ampleur budgétaire, du type d’assiette retenu (masse salariale), des finalités économiques ou encore du mécanisme mobilisé (le crédit d’impôt) ». C’est donc ici notamment le CIR qui pourrait être visé. En dépit de cet élargissement, le CICE reste le seul dispositif faisant l’objet d’un suivi et d’une évaluation annuelle (rappelons là qu’il s’agit d’une obligation légale).
L’opacité des données
Le chiffrage du CICE est délicat. Non seulement l’absence de comités régionaux de suivi ne permet pas d’avoir une évaluation dans les territoires, mais l’évaluation nationale se heurte elle-même à un certain nombre de limites :
Compte tenu des différentes dates de clôture des exercices comptables et de la possibilité pour une entreprise de déclarer son droit à créance sur l’exercice dans les trois années qui suivent, il faut plusieurs années pour que le montant définitif des créances soit connu. A ce jour, seules les créances au titre de 2013 sont définitivement connues.
Puisqu’il s’agit d’un crédit d’impôt, le secret fiscal est opposable à toute demande de traçage de cette aide publique. Ce secret fiscal a notamment été opposé par l’administration à des parlementaires cherchant à connaître le montant du crédit perçu par de grandes entreprises.
C’est donc au niveau des établissements qu’il est possible de connaître les montants touchés par les entreprises. En effet, la loi prévoit que le Comité d’entreprise soit consulté sur l’utilisation du CICE lors de la consultation annuelle sur la situation économique de l’entreprise (article L 2323-12 du Code du travail). Cependant, dans ce domaine comme dans d’autres, le respect du droit du travail par les employeurs est écorné. Selon les études, entre 30 % (SECAFI) et 40 % (SYNDEX) des entreprises ne respectent pas l’obligation légale d’information-consultation sur le CICE.
Les méthodes d’évaluation
Jusqu’à maintenant, l’évaluation menée par le Comité national de suivi s’est appuyée sur 3 dimensions : l’analyse de la statistique publique, les enquêtes qualitatives auprès des entreprises, les études d’impact à partir de modèles économétriques.
Le suivi et l’évaluation du CICE repose d’abord sur l’analyse des données de la statistique publique. A partir des informations de l’administration fiscale, de l’INSEE ou encore de la BPI, il est possible de suivre l’évolution des masses financières et leur répartition selon les secteurs d’activité, la taille des entreprises, etc. Cela permet donc d’obtenir, avec toutes les limites de la construction statistique, une analyse a posteriori du réel (les créances effectivement remontées à l’administration fiscale, les montant préfinancés…).
Le Comité de suivi a lancé des études qualitatives (questionnaires et entretiens) auprès des entreprises pour connaître leurs intentions et savoir comment elles comptaient utiliser le CICE. Ces études reposent sur des données déclaratives (avec elles aussi leurs limites) et donnent pour principale information que l’utilisation du CICE est privilégiée pour l’investissement. Comme elles ne reposent sur aucune donnée objectivée, ces études relèvent plus du baromètre d’intention que d’un vrai suivi de l’utilisation de l’aide publique.
En 2015, le Comité de suivi a lancé un appel à évaluation de l’impact du CICE. Trois organismes de recherche ont réalisé une étude, adoptant des méthodologies plus ou moins différentes. A partir de données individuelles (anonymisées) sur les entreprises, elles cherchent à isoler les effets propres du CICE sur différentes variables (emplois, salaires, exportations, investissements, taux de marge…). Elles établissent des modèles économétriques qui permettent de quantifier les effets en fonction de l’intensité du crédit d’impôt.
Le CICE, c’est combien d’emplois créés ?
Concernant l’emploi, deux des trois études mentionnées ont cherché à le quantifier. A partir d’une même méthode mais en prenant en compte des variables différentes, les deux études arrivent à des estimations très différentes.
L’une d’entre elle considère qu’il n’y a pas d’effet significatif du montant du CICE sur le niveau des effectifs. Elle identifie même un impact négatif du CICE sur le volume d’heures travaillées dans l’année.
La deuxième étude s’intéressant à l’emploi estime à l’inverse que le CICE aurait créé entre 46 000 et 116 000 emplois en 2013. Elle s’avère néanmoins prudente en soulignant plusieurs limites. D’abord, elle souligne que selon l’indicateur d’emploi retenu, l’impact peut être significatif (effectifs annuels moyens) ou être sans effet (effectifs au 31 décembre). Ensuite, lorsqu’il existe, l’effet positif se limite aux entreprises pour lesquelles le taux de CICE sur la masse salariale est maximal (soit 4%). Enfin, elle ne trouve pas d’effet positif sur l’emploi pour l’année 2014 alors que le taux de crédit d’impôt est passé de 4% à 6% de la masse salariale. Autrement dit, non seulement ce chiffrage est très faible au regard des masses financières engagées dans le dispositif mais, de surcroît, il n’apparaît pas très robuste car très sensible aux variations d’échantillon, d’indicateur, etc.
Malgré toutes ces limites et des études qui mettent globalement l’accent sur la faiblesse voire la nullité des effets du CICE, le Comité de suivi a choisi de retenir comme « probable un effet direct de l’ordre de 50.000 à 100.000 emplois créés ou sauvegardés sur la période 2013-2014 ».
TEPP | LIEPP | |
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Effet sur l’emploi | Entre 46 000 et 116 000 emplois créés en 2013 Pas d’effet en 2014 |
Aucun effet en 2013 et 2014 (voire un effet négatif en 2013 sur le nombre d’heures travaillées) |
Effet sur la R&D | Aucun effet en 2013 et 2014 (voire un effet négatif en 2014 pour certaines entreprises | Non testé |
Effet sur l’investissement | Aucun effet | Aucun effet |
effet sur les salaires | Négatif en 2013 Sans effet en 2014 |
Positif pour les salaires horaires chez les cadres aucun effet sur le salaire moyen par tête |
effet sur les marges | Aucun effet | positif pour les TPE et PME |
Effet sur les exportations | Non testé | Aucun effet |
Ce qu’il faut retenir
Les chiffres
43 Mds de créances cumulées depuis janvier 2013
4,4 Mds en Auvergne-Rhône-Alpes
7 % des salaires versés pris en charge par le CICE à partir de 2017
Les limites
Pas d’évaluation au niveau des territoires
Plusieurs années pour connaître le montant définitif des créances
Secret fiscal opposé au traçage des aides publiques
Seule l’action des CE dans les entreprises peut renseigner les montants perçus et leur affectation
L’obligation légale d’information-consultation dans les entreprises n’est pas respectée
Les effets sur l’emploi
Une seule étude réalisée évoque un impact positif sur l’emploi (entre 46 000 et 116 000 emplois)
Compte tenu de la teneur du dispositif (crédit d’impôt généralisé), il est impossible d’isoler les créations d’emploi générées par le CICE
Les effets apparaissent comme nuls, voire contradictoires et dans la plupart des cas peu robustes
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1257